Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
21/01/2015
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des justiciables, Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir de délicatesse à l’égard des auxiliaires de justice, Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Mise à la retraite d'office
Mots-clés
Addiction
Dignité
Délicatesse
Confiance
Mise à la retraite d'office
Fonction
Vice-président
Résumé
Le CSM sanctionne par la mise à la retraite d'office les fautes commises par un magistrat dont l’addiction l'a conduit à manquer aux devoirs de son état. Le conseil souligne néanmoins qu'une telle situation s'inscrit, au moins pour partie, dans un registre médical et est susceptible d’entrer dans le champ des dispositions prévues au premier alinéa de l’article 69 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, résultant de l’article 26 de la loi n°2007-287 du 5 mars 2007 et modifié par la loi organique n°2012-208 du 13 février 2012. Ces dispositions énoncent que « lorsque l’état de santé d’un magistrat apparaît incompatible avec l’exercice de ses fonctions, le garde des Sceaux, ministre de la Justice, saisit le comité médical national en vue de l’octroi d’un congé de maladie, de longue maladie ou de longue durée. Dans l’attente de l’avis du comité médical, il peut suspendre l’intéressé, après avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature».

CONSEIL SUPÉRIEUR
DE LA MAGISTRATURE
Conseil de discipline
des magistrats du siège

21 janvier 2015
M. X

DÉCISION

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni le 8 janvier 2015 à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux contre M. X, vice-président au tribunal de grande instance d' xxxxx, chargé du service du tribunal d'instance de xxxxx, sous la présidence de M. Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation, en présence de :

M. Jean-Pierre Machelon,
Mme Rose-Marie Van Lerberghe, présente aux débats, mais qui n'a pas participé au délibéré,
M. Pierre Fauchon,
M. Bertrand Mathieu,
M. Christophe Ricour,
M. Daniel Ludet,
M. Jean Trotel,
M. Laurent Bedouet
Mme Emmanuelle Perreux,
Mme Catherine Vandier,
M. Luc Fontaine,

Membres du Conseil,

Assistés de M. Arnaud Borzeix, secrétaire général adjoint du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Vu l'article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;
Vu la décision du 19 avril 2013 du Conseil supérieur de la magistrature interdisant temporairement à M. X l'exercice de ses fonctions ;
Vu l'acte de saisine du garde des sceaux, en date du 20 juin 2013, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. X, vice-président au tribunal de grande instance d' xxxxx, chargé du service du tribunal d'instance de xxxxx, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;
Vu l'ordonnance du 3 juillet 2013 désignant Mme Rose-Marie Van Lerberghe en qualité de rapporteure ;
Vu le rapport de Mme Rose-Marie Van Lerberghe du 3 décembre 2014, dont M. X a reçu copie ;
Vu la convocation adressée le 8 décembre 2014 à M. X et sa notification à l’intéressé le 15 décembre 2014 ;
Vu la convocation adressée le 8 décembre 2014 à M. A, vice-président au tribunal de grande instance de xxxxx, reçue le 11 décembre 2014 ;
Vu le rappel, par M. le Président, des termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : «L'audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le conseil de discipline » et l'absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X, conduisant à tenir l'audience publiquement ;
Après avoir entendu M. X, assisté de M. A, vice-président au tribunal de grande instance de xxxxx, en ses explications, Mme Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Mme Malika Cottet, magistrate à cette direction, en ses observations tendant au prononcé de la mise à la retraite d’office de M. X, les observations de M. A, M. X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;

Attendu qu’il est reproché à M. X, aux termes de l’acte de saisine du garde des sceaux :

- De s’être présenté, le 8 août 2011, « dans un état ne lui permettant pas de siéger au tribunal de grande instance d' xxxxx alors qu'il devait participer à une audience correctionnelle collégiale puis présider une audience à juge unique, obligeant l’un de ses collègues à le remplacer au pied levé après qu'il se fût assoupi à l'audience et eut posé des questions difficilement compréhensibles », outre des « des retards constatés dans la rédaction de ses décisions », vides de « véritable motivation », et la « perte de trois dossiers et les annexes des avocats » ;

- De s’être, à compter de l’été 2011, « dans un contexte d’addiction massive », lié à « un alcoolisme ancien (…) et une intempérance chronique », « désintéressé de son travail et du sort des justiciables » en transférant « ses responsabilités de magistrat sur le greffe » lors des audiences de surendettement qu'il devait présider au tribunal d’instance de xxxxx et pour la rédaction des jugements qui lui incombait ;

- D’avoir fait l’objet d’une condamnation, le 13 mai 2013, à deux amendes, l’une contraventionnelle de 400€, l’autre délictuelle de 800€ et trois mois de suspension du permis de conduire pour avoir circulé « au volant de son véhicule automobile à 165km/h, la vitesse étant limitée à 90km/h et ce sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par un taux d'alcoolémie de 0,68mg par litre d'air expiré » ;

Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure que l'état de santé de M. X a fluctué au cours des années d'exercice de ses fonctions au tribunal d'instance de xxxxx, pour se détériorer nettement au cours de l’année 2012 ; que M. X a expliqué au rapporteur avoir entrepris plusieurs cures afin de traiter sa dépendance à l'alcool, addiction qui aurait « commencé en septembre 2011 avec la séparation très brutale et douloureuse d’avec [s]on épouse » ;
Attendu que les faits objet de la présente poursuite disciplinaire, soumis par le garde des sceaux à l'appréciation du Conseil, s'inscrivent au moins pour partie dans un registre médical ; que la situation de M. X était ainsi susceptible de relever des dispositions prévues à l'article 69, alinéa 1er, de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, résultant de l’article 26 de la loi n°2007-287 du 5 mars 2007 et modifié par la loi organique n°2012-208 du 13 février 2012, dispositions selon lesquelles « lorsque l'état de santé d'un magistrat apparaît incompatible avec l'exercice de ses fonctions, le garde des sceaux, ministre de la justice, saisit le comité médical national en vue de l'octroi d'un congé de maladie, de longue maladie ou de longue durée. Dans l'attente de l'avis du comité médical, il peut suspendre l'intéressé, après avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature » ; que ces dispositions organiques demeurent, à ce jour, inapplicables en l'absence d'intervention de leur décret d’application ;

Attendu qu’après une première hospitalisation de M. X et plusieurs périodes de congés de maladie, le premier président de la cour d'appel de xxxxx a saisi, à la fin de l'année 2011, le comité médical départemental du xxxxx ; que ce comité donnait, le 20 septembre 2012, un avis favorable à la reprise d'activité de M. X, de préférence à temps partiel, alors même que le médecin de prévention avait jugé que celui-ci ne pouvait reprendre ses fonctions et suggérait un congé médical d'une durée de 6 mois ; que le comité du xxxxx, de nouveau saisi le 5 octobre 2012 par le premier président de la cour d'appel de xxxxx, donnait un avis favorable à l'octroi d'un congé de longue maladie, sur le fondement de l'article 34 du décret du 14 mars 1986, au bénéfice duquel M. X a été placé à compter du 6 juin 2012, par arrêté du garde des sceaux ; que ce congé a été prolongé le 5 décembre 2013, sur nouvelle saisine du premier président, par un congé de longue durée, sous le régime duquel M. X se trouve encore actuellement placé ; que ce congé parviendra à échéance le 6 juin 2015 ;
Attendu, par ailleurs, que si l'intéressé avait précisé au rapporteur, lors de son audition du 8 septembre 2014, qu'il souhaitait reprendre son activité, pour des raisons essentiellement financières, il a néanmoins été admis, à sa demande, par arrêté du garde des sceaux du 20 octobre 2014, à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 30 juin 2015, expliquant à l’audience ne plus avoir « les compétences » pour reprendre ses fonctions ; qu’il a indiqué, lors de l’audience, faire l’objet d’un suivi régulier auprès d’un psychiatre, selon un rythme mensuel, et se soumettre à des hospitalisations régulières ; qu’il ne consommerait plus d’alcool, ayant « compris la leçon » ;
***

Attendu que, selon l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire » ;

1.- Sur le grief de s’être présenté, le 8 août 2011, « dans un état ne lui permettant pas de siéger, au tribunal de grande instance d' xxxxx alors qu'il devait participer à une audience correctionnelle collégiale puis présider une audience à juge unique, obligeant l’un de ses collègues à le remplacer au pied levé après qu'il se fût assoupi à l'audience et eut posé des questions difficilement compréhensibles », outre des « des retards constatés dans la rédaction de ses décisions » :
Attendu que la saisine du garde des sceaux fait grief à M. X de s’être présenté au tribunal de grande instance d’ xxxxx, le 8 août 2011, en état d'ébriété manifeste, alors qu’il devait siéger, en qualité d’assesseur, au sein de la composition collégiale d’une audience du tribunal correctionnel ; que les assoupissements de M. X au cours des débats, de même que ses « questions difficilement compréhensibles », auraient déterminé le président d’audience à le faire remplacer « au pied levé » par un collègue, le procureur de la République parvenant à le convaincre de ne pas siéger à l'audience correctionnelle à juge unique qu’il devait présider par la suite ;

Attendu que ces faits déterminaient le premier président de la cour d’appel de xxxxx à le convoquer, le 2 novembre suivant, pour une audition au terme de laquelle un avertissement, versé à son dossier, lui était délivré sur le fondement de l’article 44 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ; que M. X, s’il ne contestait pas les faits, soulignait alors auprès de son chef de cour que « la perspective de reprendre un véhicule et de devoir assurer, après une audience comme assesseur, une audience à juge unique » l’avait « placé dans un état de grande anxiété (...) raison pour laquelle [il avait] consommé de l’alcool, l'ingestion d'alcool ayant potentialisé les effets des antidépresseurs » ; qu’il a précisé devant le rapporteur avoir subi « un grave accident de la route au mois de juillet 2011 » à la suite duquel ce traitement lui avait été prescrit, et qu’il n’était pas « prévu qu’[il] prenne cette audience » ;
Attendu que si l’état dépressif de l’intéressé, lié à la rupture conjugale et au « burn-out professionnel » qu’il subissait durant cette période ainsi qu’il l’indiquait au rapporteur le 8 septembre 2014, doit être pris en compte dans l’appréciation de ces faits, cette circonstance ne saurait enlever à cet incident son caractère de gravité constitutif d’une faute disciplinaire ;
Attendu que le grief tiré de cet incident d’audience, résultant d’un état d’alcoolisation de l’intéressé dans une enceinte judiciaire, est établi et caractérise à l'encontre de M. X un manquement aux devoirs de son état et à ses obligations professionnelles, par un double manquement au devoir de dignité qui s'impose à tout magistrat et au devoir de délicatesse à l'égard des magistrats, des fonctionnaires de la juridiction et des justiciables ; qu’il a ainsi porté atteinte à l'image et au crédit de l'institution judiciaire ;
Attendu, par ailleurs, que l’acte de saisine fait reproche à M. X « des retards constatés dans la rédaction de ses décisions [ayant] conduit le président du tribunal de grande instance d' xxxxx à [le] faire bénéficier d'une décharge d'audiences destinée à lui permettre de combler son retard, mesure ayant nécessairement eu une incidence sur la charge de ses collègues du tribunal de grande instance (…) [mesure] inefficiente puisque toutes les décisions remises au greffe ont dû être revues et que M. X a perdu trois dossiers et les annexes des avocats » ; que M. X a toujours « formellement contesté » les allégations d’insuffisances et de retards récurrents dans l’exercice de son activité juridictionnelle, indiquant au rapporteur que « la décision du président du TGI de [l]e décharger des audiences au TGI a[vait] probablement été prise sur le fondement du rapport du médecin de prévention », nullement pour « permettre la résorption de [son] retard dans la rédaction de [ses] décisions » ; que s’il y avait eu « des erreurs dans la rédaction », elles résultaient de son « état de santé et de la nécessité de rendre rapidement [s]es jugements » ; qu’il a également réfuté « la perte de trois dossiers ainsi que l’insuffisance de la qualité de ses décisions» ;
Attendu que si le premier président de la cour d’appel de xxxxx, entendu par le rapporteur le 27 octobre 2014, indiquait que « le président de la chambre en charge des appels des jugements des tribunaux d'instance avait appelé [s]on attention sur les décisions rendues par M. X qui, à plusieurs reprises, s'[était] contenté de reprendre les conclusions de l'avocat en lieu et place d'une véritable motivation », le Conseil ne saurait toutefois tirer de la lecture des jugements joints à son rapport, ni des auditions des fonctionnaires du greffe qui auraient été « à plusieurs reprises obligés de pallier les insuffisances de M. X », les éléments permettant de former sa conviction sur ce point ; qu’il en va de même du grief tenant à la perte, par l’intéressé, de trois dossiers et de ses annexes, insuffisamment établi par les déclarations du greffe auxquelles se « rapporte » le premier président de la cour d’appel de xxxxx lors de son audition ; qu’en tout état de cause, les éléments versés à la procédure ne démontrent pas de manière étayée en quoi la décharge accordée à M. X aurait entraîné une désorganisation du service du tribunal de grande instance d’ xxxxx ;
2.- Sur le grief de s’être, à compter de l’été 2011, « dans un contexte d’addiction massive », lié à « un alcoolisme ancien (…) et une intempérance chronique », « désintéressé de son travail et du sort des justiciables » en transférant « ses responsabilités de magistrat sur le greffe » lors des audiences de surendettement qu'il devait présider au tribunal d’instance de xxxxx :
Attendu que, selon l'acte de saisine du garde des sceaux, « les défaillances de M. X dans l'exercice de ses fonctions ont eu des conséquences sur l'organisation du service du tribunal d'instance de xxxxx (…) caractéris[ant] un manquement à ses devoirs de magistrats et à son devoir de délicatesse envers ses collègues et envers le personnel de greffe » ;
Attendu que si M. X a été affecté au tribunal d’instance de xxxxx à compter du 26 août 2009, en qualité de vice-président au tribunal de grande instance d’ xxxxx spécialement chargé de l’administration de cette juridiction, il convient de préciser qu’il avait été précédemment délégué, en qualité de vice-président placé auprès du premier président de la cour d’appel de xxxxx, « à xxxxx et au xxxxx pour procéder à la fermeture du tribunal d'instance d’ xxxxx », à l’occasion de la réforme de la carte judiciaire ; que sur la période courant de 2008 à 2009, son évaluation témoigne d’un «parcours particulièrement riche marqué par une mobilité et une polyvalence certaine, de solides connaissances juridiques, souci de l'humain, sens aigu des responsabilités », et souligne qu’il a « grandement participé à la mise en place du tribunal de xxxxx et à la fermeture de celui d' xxxxx » ; que le président du tribunal de grande instance d’ xxxxx relève « son dévouement exceptionnel, sa grande puissance de travail, son intérêt pour ses collaborateurs, son sens exceptionnel du service public » ;
Attendu que pour caractériser ses défaillances professionnelles et la désorganisation du service du tribunal d’instance qui en serait résulté, l’acte de saisine s’appuie, notamment, sur un courrier du maire de xxxxx, adressé aux chefs de cour le 27 septembre 2012, dénonçant le comportement de M. X, peu de temps après sa reprise d’activité autorisée par le comité médical départemental ; que cet élu affirmait que M. X était à cette époque « pratiquement en permanence sous l'emprise de l'alcool », ayant « repris ses fonctions dans des conditions qui se sont aggravées » ne permettant plus que « la justice soit rendue avec compétence et sérieux» ;

Attendu que dans son rapport daté du 11 octobre 2012, le premier président de la cour d'appel de xxxxx précisait s'être par la suite entretenu avec le maire de xxxxx, lequel avait précisé que « son courrier n'était que la traduction d'une grande inquiétude (…) la situation s'aggravant lors du retour manifestement prématuré de M. X » et que « le comportement de Monsieur X [faisait] scandale puisque les xxxxx connaiss[aient] son intempérance chronique » ;
Attendu que lors de son audition provoquée le 9 octobre 2012 par le premier président de la cour d’appel de xxxxx, à la suite de cette correspondance, M. X a contesté les termes de cette dénonciation qu’il jugeait alors « calomnieuse » ; qu’il a rappelé devant le rapporteur qu’à l’occasion de la mise en œuvre de la réforme de la carte judiciaire, dans ses précédentes fonctions de vice-président placé, il avait « rencontré des difficultés avec la municipalité du xxxxx » ;
Attendu, toutefois, que si M. X a partiellement contesté les descriptions des fonctionnaires du tribunal d’instance, confirmant les déclarations du maire du xxxxx, lesquelles reflétaient l’image d’un magistrat qui n’était « plus capable d'exercer ses fonctions, victime d'importants tremblements, sentant l'alcool, incapable de mener une audience et de rédiger une décision cohérente, désintéressé de son travail et du sort des justiciables », il a reconnu qu’il souffrait alors d’un état dépressif qui le conduisait à une alcoolisation régulière, ayant obéré ses capacités professionnelles, sans qu’il puisse pour autant se déduire des éléments versés à la procédure, essentiellement déclaratifs, la preuve d'une addiction «massive et ancienne », non retenue par le Conseil ;
Attendu que « s'agissant des audiences de surendettement », il a ainsi précisé qu’il n’avait « suivi aucun stage soit parce qu’il [était] à l'audience soit parce qu’[il était] en congé maladie pendant l’année 2012 (…) hospitalisé pour dépression », raison pour laquelle il s’était « appuyé sur le greffe » ; qu’il n’a pas contesté « les affirmations des greffières dans leur totalité mais sur la période de septembre 2011 à mars 2012 » et a reconnu que ses « problèmes de santé, de dépression et l'alcoolisme lié à cette dépression [avaient] pu entacher [s]on exercice professionnel » ; qu’il a, en revanche, fermement rejeté l’affirmation d’un désintérêt pour son travail et pour le sort des justiciables ; qu’il a tenu à préciser devant le rapporteur que la direction du tribunal d'instance de xxxxx représentait alors une lourde charge de travail, à laquelle s’ajoutaient les audiences correctionnelles au tribunal de grande instance d’ xxxxx, impliquant de longs trajets en voiture ; qu’il avait ainsi « très mal vécu le fait d’être obligé d’annuler certaines audiences prévues au tribunal d’instance du fait des sollicitations du TGI d’ xxxxx » ;
Attendu qu'il résulte de tous ces éléments, comme de la reconnaissance à l’audience par M. X d’une « dégradation du service fait… ayant fait perdre du temps aux greffières », que les difficultés rencontrées par l'intéressé, à compter du second semestre de l’année 2011, ont eu des répercussions indiscutables sur le fonctionnement du tribunal d’instance dont il avait la charge, occasionnant des transferts de responsabilité du magistrat vers le greffe et des comportements inadaptés liés à sa consommation d’alcool ;

Attendu que ces faits étant établis, M. X a ainsi manqué à son devoir de délicatesse à l'égard des fonctionnaires du tribunal d’instance de xxxxx et porté atteinte à l'image et au crédit de l'institution judiciaire ;
3.- Sur le grief d’avoir fait l’objet d’une condamnation, le 13 mai 2013, à deux amendes, l’une contraventionnelle de 400€, l’autre délictuelle de 800€ et trois mois de suspension du permis de conduire pour avoir circulé « au volant de son véhicule automobile à 165km/h, la vitesse étant limitée à 90km/h et ce sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par un taux d'alcoolémie de 0,68mg /litre d'air expiré » :
Attendu qu’il n’est pas contesté que, le 25 janvier 2013, M. X a été interpellé par les gendarmes de la brigade territoriale de xxxxx, rattachée à la compagnie de gendarmerie départementale de xxxxx, pour des faits de grand excès de vitesse et de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, le taux mesuré étant de 0,68 milligramme d’alcool par litre d’air expiré ; que l’intéressé a reconnu les faits le 13 mai 2013 lors d’une audience de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité au terme de laquelle il a été condamné à deux amendes, l’une contraventionnelle de 400 euros, l’autre délictuelle de 800 euros et à trois mois de suspension du permis de conduire ; qu’ainsi que l’a souligné le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, dans un rapport du 16 mai 2013, il a été « tenu compte de la situation personnelle de l’intéressé, dont le fils s’était suicidé peu avant les faits et en instance de divorce » ; qu’une « exclusion de cette condamnation du bulletin numéro 2 de son casier judiciaire a également été admise » ; que cette condamnation a donné lieu, le 7 juin suivant, à un nouveau rapport d’incident du premier président de la cour d’appel de xxxxx ;
Attendu qu’interrogé par le rapporteur, M. X a expliqué cet évènement «par le fait [qu’il] était déjà en dépression, [laquelle] a été décuplée par le suicide de [s]on fils que rien ne laissait prévoir », intervenu quatre jours avant l’infraction ; qu’il avait « consommé de l'alcool et [se rendait] chez [s]on psychiatre qui devait [lui] prescrire une hospitalisation » ; qu’il était « dans un état de choc », « plus vraiment lui-même à ce moment-là » ;
Attendu que ce comportement, bien qu’inscrit dans les circonstances dramatiques de la perte d’un enfant, constitue un manquement au devoir de dignité qui s'impose à tout magistrat, lequel a porté atteinte à l'image et au crédit de l'institution judiciaire ;

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Attendu que ces manquements aux devoirs de l’état de magistrat, de dignité, de délicatesse et cette atteinte répétée à l'image et au crédit de l'institution judiciaire, constitutifs de fautes disciplinaires, justifient que soit prononcée à l'encontre de M. X la sanction de la mise à la retraite d'office, étant rappelé que M. X a déjà été admis à faire valoir, sur sa demande, ses droits à la retraite à compter du 30 juin 2015 au motif, mentionné ci-dessus, qu’il n’avait plus les compétences pour reprendre ses fonctions ;

PAR CES MOTIFS

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, et hors la présence de Mme Rose-Marie Van Lerberghe, rapporteure ;

Statuant en audience publique, le 8 janvier 2015 pour les débats et le 21 janvier 2015 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Prononce à l'encontre de M. X la sanction de la mise à la retraite d'office, prévue par l'article 45 6° de l'ordonnance susvisée du 22 décembre 1958 ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de xxxxx.