Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
06/11/2014
Décision
Non-lieu à sanction
Mots-clés
Non-lieu à sanction
Délicatesse
Fonction
Juge
Résumé
Si les faits reprochés à Mme X ont révélé une attitude inappropriée et regrettable à l’endroit de fonctionnaires de justice et rigide à l’égard de certains de ses interlocuteurs, ils ne permettent pas, dans les circonstances de l’espèce, de caractériser des manquements de nature disciplinaire

CONSEIL SUPÉRIEUR
DE LA MAGISTRATURE

Conseil de discipline
des magistrats du siège

6 novembre 2014

Mme X

DÉCISION

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni le 9 octobre 2014 à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par le garde des sceaux à l’encontre de Mme X, juge au tribunal de première instance de xxxxx, sous la présidence de M. Bertrand Louvel, Premier président de la Cour de cassation, président de la formation;

Vu l’article 65 de la Constitution ;

Vu les articles 43 à 58 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu l’article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche du garde des sceaux en date du 27 janvier 2012 saisissant le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, de poursuites disciplinaires concernant Mme X ;

Vu les ordonnances des 22 février 2012 et 27 juin 2012 désignant M. Pierre Fauchon et M. Jean Trotel en qualité de rapporteurs ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X, mis préalablement à sa disposition, de même qu’à celle de son conseil ;

Vu l’ensemble des pièces jointes au cours de la procédure ;

Vu le rapport déposé le 18 juin 2014 par M. Pierre Fauchon et M. Jean Trotel, dont Mme X a reçu copie ;

Vu la convocation adressée le 20 août 2014 à Mme X et sa notification à l’intéressée le 26 août 2014 ;

Vu la convocation adressée le 20 août 2014 à Maître A, avocat au barreau de xxxxx, reçue le 26 août 2014 ;

Vu le rappel, par M. le Président de la formation, des termes de l’article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L’audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline » et l’absence de demande spécifique formulée en ce sens par Mme X et son conseil, conduisant à tenir l’audience publiquement ;

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Attendu qu’à l’ouverture de la séance, après audition de Mme Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Mme Malika Cottet, magistrate à cette direction et présentation par M. Trotel et M. Fauchon de leur rapport préalablement communiqué aux parties qui n’ont pas formulé d’observations à la suite de cette présentation, Mme X, assistée de Maître A, a été entendue en ses explications et moyens de défense et a répondu aux questions posées ; qu’après avoir entendu Mme Delnaud en ses observations tendant au prononcé de la sanction d’interdiction d’être nommée ou désignée dans des fonctions de juge unique pendant une durée de cinq ans, Maître A en sa plaidoirie, Mme X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;

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-Sur le fond

Attendu qu’aux termes de la saisine du garde des sceaux en date du 27 janvier 2012, il est reproché à Mme X, installée en qualité de juge au tribunal de première instance de xxxxx à compter du 9 janvier 2006, d’avoir « adopt(é) à l’égard des fonctionnaires de son service, de certains collègues et des partenaires extérieurs des comportements agressifs, dévalorisants, vexatoires et imprévisibles, de façon répétée depuis sa prise de fonctions en janvier 2006, à l’origine d’une dégradation des conditions de travail préjudiciables à ces personnes –ayant notamment conduit à une succession de sept fonctionnaires en quatre années, cinq d’entre eux ayant demandé à quitter le service à l’issue d’une période de congé de maladie ordinaire – mais également à la bonne marche du service dont elle avait la charge », et d’avoir ainsi « gravement manqué aux devoirs de son état de magistrat, et notamment au devoir de délicatesse qui s’impose à tout magistrat dans ses relations avec son entourage professionnel » ;

Attendu, d’une part, qu’il est reproché à Mme X une attitude dévalorisante et déstabilisatrice à l’égard des fonctionnaires du greffe de l’application des peines ;

Attendu, selon le garde des sceaux, que Mme X aurait tenu des propos injurieux et humiliants à l’endroit de fonctionnaires ; que dans une note du 13 février 2007 adressée aux chefs de greffe et de juridiction, Madame B, greffière du service de l’application des peines, entre septembre 2006 et août 2007, sollicitait un changement de service, exposant que Mme X lui reprochait notamment d’être « malhonnête », d’être « son bourreau » ; que Mme C, greffière de ce service depuis août 2009, déclarait que Mme X « disait devant (elle) que (s)es collègues étaient des bons à rien » ; que Mme D, vice-présidente placée, mentionnait que les fonctionnaires du service de l’application des peines lui avaient fait état, lors de ses remplacements, de ce que « Mme X les traitait d’incapables et de bons à rien » ;

Attendu que Mme X a contesté au cours de la procédure disciplinaire et à l’audience avoir tenu des propos injurieux, et d’avoir ainsi utilisé les termes « incapables » et « bons à rien », déclarant devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires, que « mis à part Madame C, personne d’autre ne dit qu’ (elle) tient(t) des propos injurieux » et que « Madame D ne fait que rapporter les dires de personnes non identifiées » ;

Attendu que le Conseil constate qu’il ne résulte pas des auditions des autres fonctionnaires entendus par les services de l’Inspection générale des services judiciaires que Mme X aurait tenu à leur égard des propos injurieux et humiliants ;

Attendu, au regard de l’ensemble de ces éléments, que la matérialité de ce grief n’apparaît pas suffisamment caractérisé ;

Attendu cependant que les fonctionnaires entendus par les services de l’Inspection générale des services judiciaires ont décrit une attitude vexatoire et humiliante de Mme X à leur endroit, et notamment en présence de tiers ; qu’ainsi, M. E, greffier au service de l’application des peines, d’avril à août 2008, a indiqué que Mme X « pouvait piquer de fortes colères en hurlant », que « c’était toujours limite à (leur) égard mais qu’elle ne les avait jamais insultés, Madame F et (lui) » ; qu’ainsi, Madame F, adjointe administrative, indiquait aux services de l’Inspection générale des services judiciaires que Mme X avait « parfois tenu des propos vexatoires … A certaines audience, quand il manquait un document dans un dossier par exemple, elle tenait des propos humiliants à notre égard devant les justiciables ou devant le parquet » ; que selon M. G, substitut, Mme X « s’adressait très durement au greffe devant les justiciables, tant les avocats que moi étions gênés », ajoutant qu’ « (il) n’aurai(t) jamais parlé à un greffier comme elle le faisait » ;

Attendu que Mme X a déclaré à l’audience « avoir eu effectivement quelque fois des comportements inadaptés au sein de l’application des peines, d’avoir manqué de disponibilité pour les fonctionnaires et d’écoute à leur égard » ;

Attendu, en cet état, qu’il est établi que Mme X a pu adopter un comportement inapproprié à l’endroit de fonctionnaires de justice ; que cependant, le Conseil relève des éléments de contexte tenant à la situation de l’application des peines au tribunal de première instance de xxxxx, liée à la désorganisation du cabinet de Mme X à son arrivée, à l’absence de stabilité des fonctionnaires du service et à l’insuffisance de formation des fonctionnaires ; que, dans les circonstances de l’espèce, le comportement de Mme X, pour regrettable et déplacé qu’il ait été, ne permet pas de caractériser suffisamment un manquement de nature disciplinaire ;

Attendu, en outre, qu’il est reproché à Mme X des méthodes de travail imposant aux fonctionnaires des tâches inutiles et chronophages, sans égard à leur charge de travail et des modifications constantes des consignes, générant un climat d’insécurité très déstabilisant pour ceux-ci ; que, selon la saisine, le comportement de Mme X aurait été à l’origine d’une dégradation des conditions de travail des fonctionnaires du greffe ;

Attendu, selon Mme B, anciennement greffière au service de l’application des peines au tribunal de première instance de xxxxx, que le greffe « était terrorisé par (le) système de traitement du courrier que Mme X avait mis en place pour tout voir », affirmant que celle-ci «était très changeante et menteuse et soutenait le contraire de ce qu’elle avait dit la veille sur ses directives de travail… c’est pour ces raisons qu’(ils avaient) demandé des notes écrites mais elle a refusé d’en faire et c’était sa parole contre la (leur ) » ; que Madame H, juge coordonnateur du service de l’application de peines à partir de septembre 2009, a indiqué devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires que Mme X « demande des actes inutiles et qu’elle change d’avis puisque rien n’est écrit ; elle ne donne pas de directive claire » ;

Attendu que Mme X a réfuté devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires l’ensemble de ces affirmations précisant qu’elle avait donné des consignes orales claires, que Mme F, adjointe administrative, présente dans le service de mai 2006 à janvier 2010, avait rédigé des fiches de procédure qui reprenaient l’essentiel de ces consignes et qu’en août 2010, elle avait rédigé un document récapitulatif des directives données antérieurement ; qu’enfin, elle expliquait le climat difficile de travail par son problème de santé précisant qu’ « à partir du moment où (elle a) appris qu’ (elle) avai(t) un problème de santé, en avril 2007, le service a effectivement travaillé dans un climat de stress », déclarant qu’elle « venai(t) au travail la boule au ventre » ;

Attendu que si l’ensemble de ces éléments caractérisent chez Mme X, une insuffisante capacité à encadrer les personnels du greffe et une direction de service inadaptée, ils ne permettent pas, dans les circonstances de l’espèce liées notamment aux problèmes de santé avérés de Mme X, de caractériser un manquement de nature disciplinaire ;

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Attendu, d’autre part, qu’il est reproché à Mme X une attitude inadaptée à l’égard de certains collègues magistrats et de l’administration pénitentiaire ;

Attendu, en premier lieu, que selon les termes de la saisine, le comportement de Mme X aurait entraîné des conséquences sérieuses sur la santé d’une de ses collègues, Mme H, et sur le fonctionnement du service ;

Attendu qu’il résulte des pièces de la procédure que Mme H a été désignée, en septembre 2009, en qualité de coordonnateur du service de l’application des peines, alors que Mme X reprenait ses fonctions en octobre 2009 au retour d’un congé maladie ;

Attendu, selon Mme H, que les relations entre elle et Mme X, étaient émaillées d’incidents qualifiés « d’imprévisibles, ridicules et pénibles » et générant pour elle un arrêt maladie ; que, selon elle, « Mme X a très mal pris le fait qu’(elle ait été) nommée juge coordonnateur » et que « le comportement de Mme X crée un climat de tension très pesant et un sentiment d’insécurité » ; que selon le président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de xxxxx, en fonction entre 2005 et début 2001, l’attitude de Mme X était « de recherche de faute systématique sur ses collègues » ;

Attendu que Mme H présentait au président du tribunal, dès le mois de mars 2010, une demande de délocalisation de son bureau « parce qu’il était impossible de travailler avec Mme X » ; qu’en octobre 2010, elle alertait de nouveau par écrit le président du tribunal expliquant devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires qu’elle avait « fait un début de dépression début octobre 2010 parce qu (‘elle) ne pouvai(t) plus gérer la tension au sein du service », ce qui aurait justifié l’octroi d’un congé de maladie puis une reprise de travail à temps partiel, à 80 % ;

Attendu que devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires, Mme X n’a pas contesté la réalité de la situation de Mme H, déclarant que « ces éléments sont la manifestation d’une souffrance au travail à laquelle il n’a pas été donné de réponse », indiquant « qu’il y a une tension dans le service qui m’a également rendue malade » ;

Attendu, au regard de l’ensemble de ces éléments, que la matérialité du grief tiré d’une attitude rigide, agressive, inadaptée de Mme X à l’égard de sa collègue, ayant entraîné des conséquences sérieuses sur la santé de celle-ci et le fonctionnement du service n’apparaît pas, dans les circonstances de l’espèce, suffisamment caractérisée ;

Attendu, en deuxième lieu, que selon la saisine du garde des sceaux, Mme X aurait tenu des propos inadaptés à l’audience à l’égard des magistrats du parquet traduisant une propension à rechercher la responsabilité des autres intervenants ;

Attendu que selon Mme I, vice-procureur, Mme X aurait refusé une suspension pour permettre au parquet de produire une pièce et éviter ainsi un renvoi alors que le justiciable avait fait plusieurs heures de route et aurait déclaré « qu’il manquait une pièce et que c’était de la responsabilité du parquet » ; que selon M. G, substitut, il a pu arriver que Mme X le mette en cause à l’audience en tant que représentant du parquet ; que la Procureure de la République, entendue par les services de l’Inspection générale des services judiciaires, avait décidé de faire « tourner » les magistrats du parquet aux audiences de Mme X, « pour éviter les incidents et parce que c’était trop lourd et usant pour les magistrats » ; qu’un autre magistrat du parquet, Mme L, avait indiqué à son collègue, M. G, que « les relations étaient très tendues avec Mme X » ;

Mais attendu qu’il résulte des mêmes déclarations de Mme I et de M. G, magistrats du parquet de xxxxx, que Mme X n’avait jamais tenu de propos déplacés ou désagréables à leur endroit et que deux vice-présidents chargés du service correctionnel, M. I et M. M, entendus par les services de l’Inspection générale des services judiciaires, avaient apprécié le comportement et la compétence de Mme X ;

Attendu en conséquence que la matérialité du grief tenant à des propos inadaptés à l’audience à l’égard des magistrats du parquet n’apparaît pas suffisamment établie ;

Attendu, en troisième lieu, qu’il est reproché à Mme X, une attitude rigide à l’égard de l’administration pénitentiaire ;

Attendu, selon la saisine du garde des sceaux, que « si la qualité du travail fourni par certains travailleurs sociaux, la personnalité particulière de l’ancien directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), les tensions internes de ce service, doivent être prises en considération, il n’en demeure pas moins que Madame X a adopté une attitude rigide à l’égard de ce service » ;

Attendu que M. N, directeur-adjoint du SPIP déclarait devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires que « Mme X exigeait les mêmes pièces qu’en métropole alors qu’il n’y avait pas de risque de fuite par exemple », que « c’était justifié au regard de la loi mais pas dans la situation de la xxxxx » ; que M. O, successeur de Mme N, en poste depuis 2010, déclarait avoir « vu des (conseillers d’insertion et de probation) qui ont « craqué » dans (s)on bureau, » qui « n’en pouvaient plus des demandes de Mme X » ; que, selon M. P, directeur du centre de détention de xxxxx d’août 2007 à mars 2010, « nous étions toujours en tension et tout était compliqué », illustrant les difficultés de communication avec cette dernière par l’impossibilité d’avoir « une réunion sur la politique d’application des peines qui pourrait être mise en œuvre de manière concertée » ;

Attendu que Mme X a expliqué que ces propos confirmaient le fait qu’à son arrivée « (elle) avait constaté des dérives de certains CIP et (qu’elle a) voulu y mettre fin » ;

Attendu, en cet état, que le comportement de Mme X ne permet pas d’établir un manquement de nature disciplinaire ; qu’il caractérise plutôt un faible sens du dialogue marqué par une attitude rigide ; qu’à cet égard, le président de la chambre d’application des peines a estimé que Mme X « avait une vision très rigide de son rôle de juge et de ses prérogatives », qu’ « elle s’arcboutait sur son code de procédure pénale sans accepter de discuter au détriment de l’intérêt du service » ;

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Attendu que si les faits reprochés à Mme X ont révélé une attitude inappropriée et regrettable à l’endroit de fonctionnaires de justice et rigide à l’égard de certains de ses interlocuteurs, ils ne permettent pas, dans les circonstances de l’espèce, de caractériser des manquements de nature disciplinaire ;

Attendu qu’il n’y a pas lieu en conséquence de prononcer de sanction disciplinaire ;

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PAR CES MOTIFS,

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence de M. Pierre Fauchon et M. Jean Trotel, rapporteurs ;

Statuant en audience publique le 9 octobre 2014 pour les débats et le 6 novembre 2014 par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Dit que les faits reprochés à Mme X ne constituent pas des fautes disciplinaires ;

Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une sanction ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d’appel de xxxxx.