Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
19/04/2012
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire)
Décision
Admission à cesser ses fonctions
Mots-clés
Admission à cesser ses fonctions
Alcool
Assesseur
Audience
Délibéré
Délicatesse
Dignité
Discernement (altération)
Etat de santé
Expertise psychiatrique
Honneur
Image de la justice
Juge
Presse
Retard
Retentissement médiatique
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Retards dans le rendu de décisions (grief non retenu) ; Retards à l’audience (grief non retenu) – Manque de discrétion quant à un délibéré (grief non retenu) – Le magistrat a présenté, à deux reprises, un état d’ébriété, alors qu’il siégeait comme assesseur ;

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme Conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par M. le premier président de la cour d'appel de xxxxx, contre M. X, juge au tribunal de grande instance xxxxx, sous la présidence de M. Vincent Lamanda, Premier président de la cour de cassation, président de la formation, (…)

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n°2010-830 du 22 juillet 2010 ;

Vu l'article 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994 relatif au Conseil supérieur de la magistrature, modifié par le décret n°2010-1637 du 23 décembre 2010 ;

Vu l'article 50-2 de l'ordonnance précitée ;

Vu l'acte de saisine constitué des dépêches du premier président de la cour d'appel de xxxxx en date du 8 mars 2011 et du 11 mars 2011, dénonçant au Conseil les faits motivant des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance xxxxx, ainsi que les pièces jointes à ces dépêches ;

Vu l'ordonnance du 8 avril 2011 désignant Mme Emmanuelle Perreux en qualité de rapporteur ;

Vu l'article 57 de l'ordonnance précitée n° 58-1270 du 22 décembre 1958, modifié par la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 ;

Vu l'ordonnance du 22 juin 2011 désignant le docteur Z pour procéder à l'examen médical et psychiatrique de M. X ;

Vu le rapport de Mme Emmanuelle Perreux du 23 février 2012, dont M. X a reçu copie ;

Vu le rappel, par M. le Premier président, des termes de l'article 57 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, selon lesquels : « L'audience du conseil de discipline est publique. Toutefois, si la protection de l'ordre public ou de la vie privée l'exigent, ou s'il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l'accès de la salle d'audience peut être interdit pendant la totalité ou une partie de l'audience, au besoin d'office, par le Conseil de discipline » et l'absence de demande spécifique formulée en ce sens par M. X, conduisant à tenir l'audience publiquement ;

Après avoir entendu Mme Emmanuelle Perreux en son rapport, les observations de Mme Véronique Malbec, directrice des services judiciaires, assistée de Mme Hélène Volant, magistrate à l'administration centrale, qui a demandé le prononcé d'une mesure d'admission à cesser ses fonctions à l'encontre de M. X, les explications et moyens de défense de celui-ci, les observations de Mme A, vice-présidente au tribunal de grande instance xxxxx, M. X ayant eu la parole en dernier, le Conseil en a délibéré ;

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Attendu que l'acte de saisine, résultant des rapports des 8 et 11 mars 2011 du premier président de la cour d'appel de xxxxx, retient, à l'encontre de M. X, quatre séries de griefs :

  • Le fait d'avoir présenté, en plusieurs occasions, un état d'ébriété,
  • Les retards dans le rendu de décisions,
  • Les retards à l'audience,
  • Le manque de discrétion quant à un délibéré.

1. Sur les retards dans le rendu de décisions :

Attendu que l'acte de saisine du premier président de la cour d'appel de xxxxx, reprenant le rapport du président du tribunal de grande instance xxxxx en date du 4 février 2011, évoque des retards dans la rédaction de décisions confiées à M. X ;

Attendu, d'une part, qu'il résulte d'une attestation de Mme B, vice-présidente, que lors d'une audience du 14 juin 2010, un dossier dont le délibéré était fixé au 19 juillet 2010, était confié à M. X pour rédaction du jugement ; que ne voyant pas de décision rédigée dans la semaine du 5 juillet et apprenant que M. X était en congé jusqu'au 19 juillet 2010, soit le jour prévu pour le prononcé, Mme B reprenait le dossier pour établir elle-même le jugement ; que M. X a indiqué que, lors de l'audience du 14 juin 2010, il ne connaissait pas encore ses dates de congés et que, compte tenu de sa charge de travail et de sa présence importante aux audiences, il n'avait pas eu le temps de rédiger la décision avant son départ en vacances ;

Attendu, d'autre part, qu'il résulte d'une attestation de M. C, vice-président, que, lors de l'audience du 10 juin 2010 avec un délibéré fixé au 14 octobre 2010, un dossier était confié à M. X pour rédaction du jugement ; que M. C avait, le 11 octobre, soit trois jours avant la date du prononcé, sur instruction du président du tribunal, repris le dossier pour établir lui-même la décision ; que M. X a expliqué au rapporteur que le jugement était presque achevé lorsque M. C avait repris le dossier, qu'il lui restait trois jours avant la date du délibéré pour terminer son travail et qu'en conséquence, aucun retard ne pouvait lui être imputé ;

Attendu que, dans l'un et l'autre cas, les dossiers ayant été retirés à M. X avant l'expiration du délai fixé pour le prononcé de la décision, un retard dans le rendu de la décision n'est pas établi ; qu'au demeurant, le seul retard prévisible pris par M. X dans l'établissement de la première décision ne peut suffire à caractériser à son encontre une faute disciplinaire ;

2. Sur les retards à l'audience :

Attendu que, dans son acte de saisine, le premier président de la cour d'appel de xxxxx, reprenant les éléments du rapport du président du tribunal de grande instance xxxxx, évoque une défaillance de M. X lors de l'audience du 13 octobre 2010 ; que l'absence de M. X à 9H00 au début de l'audience, a contraint le président à le remplacer ;

Mais attendu que M. X explique avoir été appelé le matin de l'audience pour assurer lui-même le remplacement d'un magistrat malade et qu'il s'est immédiatement rendu au tribunal, arrivant à 9H30 ;

Attendu qu'en cet état, le manquement visé, insuffisamment caractérisé, ne peut être retenu à sa charge ;

Attendu qu'il est encore reproché à M. X, lors d'une audience du 22 septembre 2010, d'être arrivé avec retard ; que l'intéressé a expliqué qu'ayant siégé les deux jours précédents dans une affaire exceptionnelle, il croyait devoir assurer la seule audience de comparution immédiate débutant à 15H00 et non l'audience de formation collégiale commençant à 13H30 ;

Attendu que le Conseil considère que ce retard, pour regrettable qu'il soit, ne peut, à lui seul, dans les circonstances particulières de l'espèce, être constitutif d'une faute disciplinaire ;

3. Sur le manque de discrétion quant à un délibéré :

Attendu que si ce reproche n'est pas expressément articulé dans la saisine, deux pièces qui y sont annexées, un courriel du premier vice-président du 15 décembre 2010 adressé au président de la juridiction et un courriel du 26 octobre 2010 adressé à M. X, s'y rapportent ;

Attendu que dans une affaire sensible mettant en cause des membres de la CGT du port xxxxx, M. X qui avait la charge de rendre la décision, aurait commis des indiscrétions dans les couloirs du palais quant à la teneur de celle-ci ;

Attendu que M. X conteste avoir, selon les déclarations du procureur de la République, indiqué que les réquisitions avaient été dépassées, se bornant, selon lui, à s'inquiéter auprès du ministère public de la présence d'un service d'ordre suffisamment important au moment du prononcé de la décision, eu égard au caractère sensible de l'affaire ;

Attendu qu'il est constant que, d'une part, la décision n'excédait pas les réquisitions du parquet et, d'autre part, que M. X devait s'assurer qu'un service d'ordre serait prévu, en raison du risque du trouble à l'ordre public ; qu'il lui revenait, à ce titre, de s'en enquérir auprès du procureur de la République ; qu'il s'ensuit que les éléments constitutifs d'une faute disciplinaire ne sont pas réunis en l'espèce ;

4. Sur le fait d'avoir présenté, en plusieurs occasions, un état d'ébriété :

Attendu qu'il est reproché à M. X, d'avoir présenté à plusieurs reprises un état d'ébriété :

* Lors d'une audience correctionnelle collégiale du 31 janvier 2011 ;

Attendu que, le 31 janvier 2011, l'état d'ébriété dans lequel se trouvait M. X, siégeant en qualité d'assesseur à une audience correctionnelle, conduisait le président de la formation collégiale à suspendre les débats et à procéder au remplacement de l'intéressé ; que le comportement anormal de M. X, arrivé en retard et ayant du mal à boutonner son costume d'audience et à s'installer sur son siège, était constaté tant par le vice-procureur de la République que par les avocats et le public présent dans la salle ; que ces faits ont été relatés dans une édition du quotidien local sous le titre : « un juge ivre à l'audience » ; que M. X a déclaré avoir absorbé ce jour-là de l'alcool alors qu'il suivait un traitement neuroleptique, son imprégnation alcoolique ayant été confirmée par le médecin de prévention à la suite d'une mesure d'éthylotest positive ;
* Lors d'une audience correctionnelle collégiale du 11 juin 2010 ;

Attendu que, dans son rapport du 4 février 2011 à l'attention du premier président de la cour d'appel de xxxxx, le président du tribunal de grande instance xxxxx évoque un précédent incident survenu lors d'une audience de comparution immédiate du 11 juin 2010 ; que, si l'audience publique s'était déroulée normalement, le président avait cependant constaté, au moment du délibéré, que M. X tenait des propos confus, avait du mal à garder son équilibre et sentait l'alcool ;

Attendu que le témoignage du second assesseur conforte ces déclarations sur le comportement inapproprié de M. X, dont l'élocution était difficile, rendant son propos incompréhensible et le délibéré inopérant ;

Attendu que M. X a déclaré ne pas se souvenir de ces faits ; qu'ils apparaissent toutefois suffisamment établis ; que si l'imprégnation alcoolique de M. X n'a pas eu de répercussion sur le déroulement de l'audience, mais seulement sur le délibéré, cette circonstance n'enlève pas à l'incident son caractère de faute disciplinaire, au regard des devoirs de dignité et de délicatesse du magistrat ;

* Lors d'une assemblée générale siège-parquet du 25 juin 2010 ;

Attendu que, dans son rapport du 4 février 2011 à l'attention du premier président de la cour d'appel de xxxxx, le président du tribunal de grande instance xxxxx relate un état d'ébriété de M. X lors d'une assemblée générale de magistrats du 25 juin 2010 ;

Attendu que M. X conteste s'être trouvé dans un état d'ébriété ce jour-là, invoquant un problème gastrique l'ayant conduit à quitter précipitamment l'assemblé générale ; qu'interrogée par le rapporteur, Mme D, magistrat assis le plus près de M. X lors de l'assemblée générale, a confirmé que l'intéressé avait alors une attitude « bizarre » et un « comportement (...) volubile » et qu'il avait quitté précipitamment la réunion d'une démarche mal assurée ;

Attendu qu'au regard des contestations de M. X, ce seul témoignage est insuffisant pour établir la réalité de la cause de son comportement qui ne peut donc être retenu à titre de faute disciplinaire ;

Attendu que le fait, pour M. X, d'avoir présenté à deux reprises, le 11 juin 2010 et le 31 janvier 2011, un état d'ébriété, alors qu'il siégeait comme assesseur, est constitutif d'un manquement grave et réitéré aux devoirs de l'état de magistrat, à la dignité et à l'honneur qui s'attachent à ses fonctions ; que la publicité qui a été donnée dans la presse au second incident, a porté atteinte à l'image de l'institution judiciaire ; que de tels faits sont de nature à faire perdre à ce magistrat toute autorité tant dans ses relations professionnelles qu'à l'égard des justiciables ;

Attendu que M. X a déjà été sanctionné disciplinairement, le 24 février 2010, pour des faits de même nature ;

Attendu qu'il résulte des conclusions de l'expertise psychiatrique que ceux-ci s'inscrivent dans le contexte d'un état alcoolo-dépressif de M. X et que l'ensemble de ces troubles justifie que l'on considère son discernement comme ayant été altéré, sans être pour autant aboli, tout comme le contrôle et la maîtrise de ses paroles et de ses actes ;

Attendu qu'il apparaît que M. X n'est plus en mesure de reprendre ses fonctions de magistrat dans des conditions satisfaisantes au regard d'une bonne administration de la Justice ; qu'il en a d'ailleurs lui-même convenu à l'audience ; qu'il y a lieu, par suite, de prononcer à son encontre la sanction d'admission à cesser ses fonctions ;

***

PAR CES MOTIFS

Le Conseil, après en avoir délibéré à huis clos, et hors la présence de Mme Emmanuelle Perreux, rapporteur ;

Statuant en audience publique, le 5 avril 2012 pour les débats et le 19 avril 2012, par mise à disposition de la décision au secrétariat général du Conseil supérieur de la magistrature ;

Prononce à l'encontre de M. X, la sanction d'admission à cesser ses fonctions, en application de l'article 45, 6° de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Dit que copie de la présente décision sera adressée au premier président de la cour d'appel de xxxxx.