Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
11/04/2007
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de probité (devoir de respecter les exigences des bonnes mœurs), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Révocation sans suspension des droits à pension
Mots-clés
Photographies (pédophiles)
Mineur
Pornographie
Internet
Mise en examen
Alcool
Circulation (infraction)
Déport
Impartialité
Probité
Bonnes mœurs
Dignité
Honneur
Révocation sans suspension des droits à pension
Juge
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Mise en examen du chef de détention d’images de mineurs présentant un caractère pornographique d’un magistrat ayant consulté et enregistré par milliers sur internet, au moyen de ses cartes bancaires, des clichés pornographiques de différentes natures mettant notamment en scène des mineurs. Absence de déport de ce magistrat lors de l’examen en audience pénale d’une affaire trouvant son origine dans la même enquête et dans laquelle il était nommément cité comme utilisateur d’un site pédo-pornographique. Condamnation pénale du chef de circulation sous l’empire d’un état alcoolique
Décision(s) associée(s)

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni à la Cour de cassation comme conseil de discipline des magistrats du siège, pour statuer sur les poursuites disciplinaires engagées par M. le premier président de la cour d’appel de … et par M. le garde des sceaux, ministre de la justice, contre M. X, juge au tribunal de grande instance de …, sous la présidence de M. Jean-François Weber, président de chambre à la Cour de cassation suppléant le premier président de la Cour de cassation empêché, […] ;

Vu les articles 43 à 58 modifiés de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;

Vu les articles 18 et 19 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, modifié par la loi organique n° 001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 40 à 44 du décret n° 94-199 du 9 mars 1994, relatif au Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche de M. le premier président de la cour d’appel de … du 27 septembre 2006, dénonçant au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline, des faits motivant des poursuites disciplinaires à l’encontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de …, ainsi que les pièces jointes à cette dépêche ;

Vu à la décision prise le 16 octobre 2006 par le Conseil supérieur de la magistrature, interdisant temporairement à M. X l’exercice des fonctions de juge au tribunal de grande instance de … jusqu’à décision définitive sur les poursuites disciplinaires ;

Vu la saisine de la formation du siège du Conseil supérieur de la magistrature du 23 novembre 2006 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, adressée à M. le premier président de la Cour de cassation, président de la formation du Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège ;

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de ce magistrat mis préalablement à sa disposition ;

Sur le rapport de M. Luc Barbier, désigné par ordonnance du 17 octobre 2006 de M. le premier président de la Cour de cassation dont M. X a reçu copie ;

Après avoir entendu M. Léonard Bernard de la Gatinais, directeur des services judiciaires du ministère de la justice, assisté de Mme Florence Butin, magistrate à l’administration centrale du ministère de la justice, et M. Barbier donné lecture de son rapport ;

M. X a précisé avoir sollicité l’assistance de Maître …, avocat au barreau de … constitué dans la procédure pénale en cours, ce conseil lui ayant assuré ne pouvoir l’assurer de sa présence à l’audience disciplinaire en raison d’engagements antérieurs ; cet avocat ne s’étant pas présenté, M. X a alors déclaré accepter de comparaître sans l’assistance d’un conseil, et a été entendu en ses explications ;

M. Bernard de la Gatinais a demandé le prononcé de la sanction de mise à la retraite d’office ;

M. X a exposé ses moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés et a eu la parole en dernier ;

Attendu que M. X est poursuivi pour un ensemble de faits qualifiés, selon les actes de saisine, d’une part de « contraires à l’honneur et à la dignité d’un juge, de manquements graves aux obligations du serment qu’il a prêté », et d’autre part « d’absence du sens des responsabilités » ;

Attendu qu’à la suite d’une opération de démantèlement des sites internet diffusant, moyennant paiement en ligne, des images à caractère pédo-pornographique, les enquêteurs établissaient que M. X, juge au tribunal de grande instance de …, avait, courant 2002, au moyens de ses cartes bancaires, visionné et enregistré des images à caractère pédo-pornographique provenant des sites étrangers démantelés ; que la perquisition effectuée à son domicile permettait de découvrir 6 CD roms de deux ordinateurs contenant de très nombreux fichiers pédo-pornographiques téléchargés en 2002, au premier trimestre 2003, en août 2004 ainsi que les 12 et 14 août 2006 ;

Attendu que M. X ne conteste pas avoir consulté sur internet, au moyen de ses cartes bancaires, par milliers, des clichés pornographiques de différentes natures mettant notamment en scène des mineurs, et les avoir enregistrés ; que ces faits font d’ailleurs l’objet de poursuites pénales actuellement en cours devant le tribunal de … ; que M. X a reconnu ces faits à l’audience ;

Attendu, par ailleurs que M. X a siégé au tribunal correctionnel de … le 13 mars 2006 comme assesseur dans une procédure de nature pédo-pornographique trouvant son origine dans la même enquête, sans se déporter lorsqu’il a constaté que son propre nom figurait avec son adresse et les coordonnées de ses cartes bancaires, comme celui du prévenu, dans la liste des sites interdits ;

Attendu qu’il résulte de ces faits que le voyeurisme sexuel par la voie informatique, concernant des sévices subis par des mineurs constitue pour M. X un manquement à l’honneur et à la dignité ;

Que le fait de ne pas se déporter lors de l’examen d’une affaire pénale dans laquelle le magistrat est nommément cité comme utilisateur d’un site pédo-pornographique constitue une totale absence de sens des responsabilités pour un juge et une violation caractérisée de son serment ;

Attendu que le parcours professionnel de M. X dénote des faiblesses certaines ; que l’intéressé admet une appétence excessive pour l’alcool qui a été à l’origine d’un congé de longue maladie de six mois suivi d’un mi-temps thérapeutique de trois mois en 1997, et d’un accident de la circulation sous l’empire d’un état alcoolique en 2001 pénalement sanctionné et suivi d’une prise en charge médicale qu’il a abandonnée en considérant qu’elle ne lui apportait rien ;

Attendu que l’expert psychiatre commis par le rapporteur du Conseil supérieur de la magistrature souligne que M. X présente une attitude de prestance défensive préjudiciable à son contact et au retour sur lui-même, et que ces éléments constituent des explications psychologiques plus qu’un trouble neuropsychique au sens de l’article 122-1 du code pénal même si à l’audience, M. X produit un certificat médical du 2 avril 2007 du même expert, attestant de sa volonté d’une prise en charge thérapeutique ;

Attendu qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. X n’est plus en mesure d’exercer des fonctions de magistrat, ce qui implique que soit prise la sanction de la révocation de ses fonctions sans suspension de ses droits à pension ;

Par ces motifs,

Statuant en audience publique le 4 avril 2007, pour les débats et le 11 avril 2007, date à laquelle la décision a été rendue,

Prononce à rencontre de M. X, juge au tribunal de grande instance de …, la sanction de la révocation sans suspension de ses droits à pension, prévue à l’article 45, 7° de l’ordonnance susvisée du 22 décembre 1958.