Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
29/04/1986
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement aux devoirs liés à l’état de magistrat, Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision
Rétrogradation
Mots-clés
Vie privée
Fréquentations
Image de la justice
Corruption
Argent
Avantage
Intervention
Etat de magistrat
Probité
Abus des fonctions
Honneur
Rétrogradation
Président de chambre de cour d'appel
Fonction
Président de chambre de cour d'appel
Résumé
Séjours privés avec des personnes poursuivies. Acceptation d’avances de fonds ou de la fourniture d’un appareil de valeur proposées par ces dernières. Utilisation de sa qualité de magistrat pour obtenir des renseignements sur des procédures les concernant

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence de Mme Rozès, premier président de la Cour de cassation, et siégeant à huis clos à la chambre commerciale de la Cour de cassation ;

Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, complétée et modifiée par les lois organiques n° 67-130 du 20 février 1967 et n° 70-642 du 17 juillet 1970 ;

Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 19 février 1959 relatif au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche de M. le garde des sceaux du 24 décembre 1985, dénonçant au Conseil les faits motivant une poursuite disciplinaire contre M. X, président de chambre à la cour d’appel de V ;

Après avoir entendu M. le directeur des services judiciaires qui s’est retiré après les débats ;

Sur le rapport de M. Chazal de Mauriac désigné pour procéder à une enquête sur les faits dénoncés à l’encontre de M. X ;

Ouï M. X en ses explications ainsi que Mes Imbach et Soroquere, avocats, qui l’assistaient ;

Vu les conclusions déposées par M. X ;

Considérant qu’il résulte d’une note d’audience en date du 29 mars 1973 que M. Y, président directeur général de la société anonyme « Y et compagnie », a comparu à cette date devant la chambre des appels correctionnels de la cour de V à la suite d’un recours exercé contre une décision d’un tribunal correctionnel du ressort ; que M. X, à l’époque conseiller à la cour d’appel, était membre de la collégialité ;

Et considérant que la cour d’appel a été saisie par M. Z d’un recours contre un jugement rendu par le tribunal de grande instance de V le 26 janvier 1978 ; que par arrêt prononcé le 7 décembre 1978 la chambre des appels correctionnels, présidée par M. X, a ordonné un supplément d’information sur certains des faits reprochés à l’intéressé ; que M. le conseiller E a été chargé de la mesure d’instruction ; que par arrêt du 12 décembre 1980, la chambre des appels correctionnels, toujours présidée par M. X, a désigné M. le conseiller F en remplacement de M. le conseiller E ; qu’enfin, par un troisième arrêt du 18 septembre 1981, la même chambre, présidée alors par M. G, a désigné M. le conseiller H aux lieu et place de M. le conseiller F ;

Considérant que M. X a effectué avec M. Y un stage de golf d’une durée de huit jours à J, à Pâques 1981 ; que M. Y a fait les réservations et donné sa propre adresse à Z pour M. X et pour lui-même ; que tous deux se sont rendus à ... dans la voiture de M. Y ;

Or considérant qu’à cette époque M. X ne pouvait ignorer d’une part que M. Y avait fait, dans le passé, l’objet de poursuites pénales, d’autre part qu’une information ordonnée par la juridiction à laquelle il appartenait était en cours ;

Considérant que le fait d’accepter de partir dans de telles conditions avec cette personne à J pour y pratiquer le golf constitue pour M. X, qui avait présidé la chambre des appels correctionnels de la cour de V, un manquement aux devoirs de son état et un comportement contraire à l’honneur ;

Considérant qu’à l’occasion d’une audience tenue à W le 7 mars 1984 par le tribunal aux armées qu’il présidait, M. X a demandé à l’un de ses assesseurs, Mlle A, juge d’instruction au tribunal de grande instance de U, si elle était saisie d’une affaire intéressant M. B, agent immobilier et associé dans une entreprise de grossiste en viande ; que ce magistrat lui a répondu affirmativement ; qu’au mois d’avril ou de mai 1984, M. X s’est présenté au cabinet de sa collègue à U et lui a demandé si M. B était bien inculpé d’infraction à la législation immobilière et d’escroquerie ; que Mlle B a confirmé la réalité de cette inculpation ;

Considérant qu’au mois de juin 1984, soit deux mois plus tard, M. X s’est rendu à I en compagnie de Mme C, avec laquelle il vivait maritalement, et de M. B ; qu’ils ont séjourné du 8 au 11 juin dans l’un des palaces de cette station balnéaire, l’hôtel … ; que M. B a réglé la note d’hôtel d’un montant de six mille sept cent vingt-neuf francs ;

Qu’à supposer que M. X ait effectivement remboursé l’intégralité de ses frais d’hôtel et de ceux de sa compagne, le fait pour un magistrat, au surplus président de chambre, d’avoir accepté l’avance de fonds par un tiers, inculpé dans une procédure pénale en cours, constitue un grave manquement aux devoirs de son état et un comportement contraire à l’honneur ;

Considérant que M. D, directeur du supermarché CORA à T, a été condamné par le tribunal correctionnel de U, le 18 mars 1980, à la peine de 5 000 francs d’amende pour infraction aux règles sur la publicité en matière de vente à crédit ; que par arrêt en date du 16 janvier 1981, la chambre des appels correctionnels de la cour de V, présidée par M. X, l’a relaxé des fins de la poursuite ;

Considérant que M. X a expliqué avoir vu M. D pour la première fois lors de la comparution de celui-ci devant la cour d’appel de V le 12 décembre 1980 ;

Que quelques mois plus tard, il l’a invité chez lui ; que M. D, constatant que son hôte ne possédait pas de magnétoscope, lui a proposé d’en mettre un à sa disposition ; que l’appareil a été livré au mois de février 1982 ; que selon M. X, il s’agissait d’un prêt qui devait déboucher sur un achat ou une restitution ; mais qu’il a dû reconnaître que l’appareil était toujours en sa possession au mois d’octobre 1984 lorsqu’une perquisition a été effectuée à son domicile dans le cadre de l’information pénale ouverte contre lui ;

Considérant que le fait de conserver ainsi pendant plus de deux ans un appareil de valeur qui lui avait été remis par une personne ayant comparu devant une formation répressive qu’il présidait est un grave manquement aux devoirs qui s’imposaient à M. X ;

Considérant que la répétition des agissements contraires à la déontologie de sa profession aggrave encore les faits retenus contre M. X à titre disciplinaire ;

Mais considérant qu’il ne résulte ni de l’enquête, ni des débats que M. X se soit démis de ses fonctions à prix d’argent ou dans des conditions équivalant à une rémunération en argent ;

Par ces motifs,

Prononce à l’encontre de M. X, par application de l’article 45 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée, la sanction de la rétrogradation ;

Constate qu’il n’est pas établi, en l’état, que M. X se soit démis de ses fonctions à prix d’argent ou à des conditions équivalant à une rémunération en argent.