Le Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
22/10/2019
Qualification(s) disciplinaire(s)
Atteinte à l'image et à l'autorité de la justice, Manquement à l'honneur, à la délicatesse et à la dignité du magistrat
Avis
Blâme avec inscription au dossier
Mots-clés
Devoirs de l'état de magistrat
Dignité
Honneur
condamnation pénale définitive
état pathologique
Retentissement médiatique
Fonction
premier substitut à l'administration centrale du ministère de la justice
Résumé
La procédure prévue à l’article 69 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 a pour seul objet de tirer les conséquences d’un état pathologique avéré apparaissant incompatible avec l’exercice des fonctions et n’a pas vocation à s’appliquer hors de cette hypothèse. En l’espèce, s’il résulte des éléments figurant au dossier de la procédure disciplinaire que les manquements reprochés au magistrat sont associés à un tel état pathologique, ils revêtent, d’une part, une qualification pénale ayant abouti à une condamnation définitive et, d’autre part, ils ne ressortissent pas de l’exercice professionnel de ce magistrat mais de la sphère privée, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de faire application de la procédure prévue à l’article 69 de l’ordonnance susvisée. // Le comportement par lequel un magistrat se rend coupable de violences volontaires sur ses enfants mineurs, faits dont la matérialité a été constatée par décision de condamnation pénale définitive, caractérise un manquement aux devoirs de l’état de magistrat, à la délicatesse et à la dignité attachée à ces fonctions. Par leur gravité, ils caractérisent également une atteinte à l’honneur du magistrat. Considérant que le comportement de ce magistrat, qui a conduit à une condamnation pénale, s’est inscrit dans la durée alors qu’il ne pouvait ignorer que son état justifiait un suivi médical au long cours en raison de ses antécédents psychiatriques, l’existence d’éléments de personnalité qui ont facilité la commission des faits reprochés n’est pas de nature à minorer leur gravité. // La circonstance selon laquelle la presse, tant locale que nationale, a fait état de la qualité professionnelle du magistrat et que son identification a eu un retentissement certain tant au sein qu’à l’extérieur du service dont elle était membre, caractérise une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et partant, à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

CONSEIL SUPÉRIEUR

DE LA MAGISTRATURE

Formation compétente à l’égard des magistrats du parquet

_____

 

 

AVIS MOTIVÉ

 

sur les poursuites disciplinaires engagées contre Mme X,

premier substitut

 

 

 

 

 

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire,

 

Sous la présidence de :

 

M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, président de la formation,

 

En présence de :

 

Mme Hélène Pauliat

M. Georges Bergougnous

Mme Natalie Fricero

M. Jean Cabannes

M. Frank Natali

M. Olivier Schrameck

M. Jean-Paul Sudre

Mme Jeanne-Marie Vermeulin

M. David Charmatz

Mme Isabelle Pouey

M. Jean-François Mayet

Mme Marie-Antoinette Houyvet

M. Cédric Cabut

 

Membres du Conseil,

 

Assistés de Mme Sophie Rey, secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature, et de Mme Sophie Havard, secrétaire générale adjointe du Conseil supérieur de la magistrature,

 

Vu l’article 65 de la Constitution ;

 

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature, notamment ses articles 43 à 66 ;

 

Vu la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 modifiée sur le Conseil supérieur de la magistrature, notamment son article 19 ;

 

Vu le décret n° 94-199 du 9 mars 1994 modifié relatif au Conseil supérieur de la magistrature, notamment ses articles 40 à 44 ;

 

Vu la dépêche du garde des Sceaux du 12 décembre 2018 et les pièces annexées, saisissant le Conseil supérieur de la magistrature pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de Mme X ;

 

Vu l’ordonnance du 7 février 2019 désignant Mme Jeanne-Marie Vermeulin, membre du Conseil, en qualité de rapporteur ;

 

Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Mme X, préalablement mis à sa disposition ainsi qu’à celle de ses conseils ;

 

Vu l’ensemble des pièces jointes au dossier au cours de la procédure, que Mme X et ses conseils ont pu consulter ;

 

Vu le rapport déposé par Mme Vermeulin le 30 août 2019, dont Mme X a reçu copie ;

 

Vu la convocation adressée à Mme X le 3 septembre 2019 et sa notification du 10 septembre 2019 ;

 

Après avoir entendu, lors de l’audience tenue à huis clos du 8 octobre 2019 :

 

Mme Vermeulin, en son rapport ;

 

M. Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires, assisté de M. Patrick Gerbault, adjoint au chef du bureau du statut et de la déontologie du ministère de la justice, représentant du garde des Sceaux ;

 

Mme X, assistée de M. A, président de chambre honoraire, et B, président de chambre honoraire ;

 

 

 

A rendu le présent

 

AVIS

 

 

1 - Aux termes de l’article 43 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée, tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire.

 

La garde des Sceaux reproche à Mme X d’avoir commis des violences volontaires sur ses deux enfants, mineurs de moins de quinze ans, du 16 mars 2015 au 16 mars 2018 et le 17 mars 2018, faits pour lesquels elle a été condamnée définitivement, par jugement du tribunal correctionnel de xxxxx du 11 septembre 2018, à la peine de douze mois d’emprisonnement assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve pendant deux ans.

 

Elle estime qu’un tel comportement caractérise un manquement à l’honneur, à la dignité, à la délicatesse et aux devoirs de l’état de magistrat.

 

Elle ajoute qu’en commettant de telles violences pour lesquelles Mme X a été condamnée et dont la presse s’est fait l’écho, celle-ci a gravement porté atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et par là-même à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

 

2 - Dans un mémoire en défense reçu au Conseil le 30 septembre 2019, Mme X sollicite que soit constaté le caractère inapproprié de l’exercice de poursuites disciplinaires à son encontre. Invoquant les troubles psychiques dont elle souffre et qui ont altéré ses capacités de contrôle de ses actes lors de la commission des faits, elle soutient que la garde des Sceaux aurait dû faire application de la procédure prévue par l’article 69 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée qui, selon elle, aurait vocation à appréhender toute situation pathologique.

 

Aux termes de l’alinéa 1 de cet article, « lorsque l'état de santé d'un magistrat apparaît incompatible avec l'exercice de ses fonctions, le garde des sceaux, ministre de la justice, saisit le comité médical national en vue de l'octroi d'un congé de maladie, de longue maladie ou de longue durée. Dans l'attente de l'avis du comité médical, il peut suspendre l'intéressé, après avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature ».

 

Contrairement à ce que soutient Mme X, la procédure ainsi prévue a pour seul objet de tirer les conséquences d’un état pathologique avéré apparaissant incompatible avec l’exercice des fonctions et n’a pas vocation à s’appliquer hors de cette hypothèse.

 

Or, en l’espèce, s’il résulte des éléments figurant au dossier de la procédure disciplinaire que les manquements reprochés à Mme X sont associés à un tel état pathologique, ils revêtent, d’une part, une qualification pénale ayant abouti à une condamnation définitive et, d’autre part, ils ne ressortissent pas de l’exercice professionnel de ce magistrat mais de la sphère privée, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de faire application de la procédure prévue à l’article 69 de l’ordonnance susvisée

 

3 – La matérialité des faits constatés par la décision pénale précitée, à laquelle s’attache l’autorité de la chose jugée, s’impose au Conseil.

 

A l’audience, Mme X a expliqué son comportement par les graves difficultés d’ordre personnel qu’elle rencontrait tant en raison de son état de santé que du fait de l’organisation matérielle de sa vie quotidienne.

 

Il résulte des pièces du dossier disciplinaire que les infractions pénales pour lesquelles Mme X a été condamnée ont été commises alors que l’intéressée était atteinte d’un trouble de la personnalité ancien et d’une décompensation dans un contexte d’épuisement associé. Les expertises réalisées tant au cours de la procédure pénale que de la procédure disciplinaire ont retenu qu’elle avait subi une altération de ses capacités de discernement et de contrôle de ses actes.

 

L’existence de ces éléments de personnalité, qui ont facilité la commission des faits reprochés, n’est cependant pas de nature à minorer leur gravité, le comportement de Mme X, qui a conduit à une condamnation pénale, s’étant inscrit dans la durée alors qu’elle ne pouvait ignorer que son état justifiait un suivi médical au long cours en raison de ses antécédents psychiatriques.

 

Les infractions commises constituent des manquements aux devoirs de l’état de magistrat, à la délicatesse et à la dignité attachée à ces fonctions. Par leur gravité, ils caractérisent également une atteinte à l’honneur du magistrat.

 

Par ailleurs, il est constant que la presse, tant locale que nationale, a fait état de la qualité professionnelle de Mme X et que son identification a eu un retentissement certain tant au sein qu’à l’extérieur du service dont elle était membre.

 

Il en est résulté une atteinte à la confiance et au respect que la fonction de magistrat doit inspirer aux justiciables et partant, à l’image et à l’autorité de l’institution judiciaire.

 

 

4 – S’agissant de la sanction appropriée à la nature de ces manquements et à la personnalité de Mme X, le Conseil relève que l’intéressée, qui a manifesté, tant au cours de la procédure pénale que de la procédure disciplinaire, la conscience de la gravité des faits commis, a démontré qu’elle s’était soumise, depuis les faits, à un suivi médical et psychothérapeutique régulier lui apportant une stabilité personnelle avérée et qu’elle s’est scrupuleusement soumise aux obligations liées à sa condamnation. D'autre part, Mme X a exprimé avoir clairement conscience que, si elle souhaitait ultérieurement retourner en juridiction, elle n'envisageait cependant pas de fonctions juridictionnelles pénales ou concernant la famille et les mineurs à raison de cette condamnation.

 

Il résulte en outre des pièces de la procédure disciplinaire que Mme X a toujours fait preuve d’un comportement professionnel de très grande qualité, ses évaluations successives mettant en évidence l’engagement exceptionnel dont elle fait preuve dans son travail et la reconnaissance de ses compétences professionnelles tant au sein de l’institution qu’à l’extérieur, un tel engagement, qui se poursuit actuellement, contribuant manifestement à son équilibre personnel.

 

En conséquence, le Conseil estime y avoir lieu à prononcer à l’encontre de l’intéressée un blâme avec inscription au dossier.

 

 

PAR CES MOTIFS,

 

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire,

 

Après en avoir délibéré à huis clos, hors la présence du rapporteur,

 

Émet l’avis de prononcer à l’encontre de Mme X, premier substitut, la sanction de blâme avec inscription au dossier prévue au 1° de l’article 45 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 modifiée ;

 

DIT que le présent avis sera transmis au garde des Sceaux et notifié à Mme X par les soins du secrétaire soussigné.

 

 

 

Le secrétaire,

 

 

 

 

Sophie Havard

 

  Le président,

 

 

 

 

François Molins