Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
28/01/2014
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de probité (devoir de maintenir la confiance du justiciable envers l’institution judiciaire), Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge), Manquement au devoir de légalité (obligation de diligence)
Avis
Révocation
Mots-clés
Probité
Diligence
Institution judiciaire (confiance)
Révocation
Fonction
Substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance
Résumé
Retenus à l'encontre du magistrat, les griefs d’abus de fonction résultant de la remise d’une attestation à un avocat et d’établissement de déclarations mensongères à l'administration fiscale, caractérisant un manquement particulièrement grave au devoir de probité, et révélant une perte complète des repères déontologiques fondamentaux de sa profession, constituent des manquements graves aux devoirs de son état de magistrat. Ces agissements ont durablement atteint le crédit et l’autorité de l’institution judiciaire.Les autres manquements retenus établissent en outre, chez ce magistrat, des insuffisances professionnelles graves et chroniques caractérisant des manquements manifestes au devoir de diligence et un désengagement persistant dans l’exercice de ses fonctions. L’ensemble des manquements ainsi retenus étant incompatibles avec les devoirs de l’état de magistrat ont conduit le Conseil à considérer qu’il convenait d’écarter définitivement ce magistrat de l’exercice de toute fonction judiciaire.

CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE
Formation compétente pour la discipline des magistrats du parquet
Avis motivé
de la formation du Conseil supérieur de la magistrature
compétente pour la discipline des magistrats du parquet

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet, réunie le 17 décembre 2013, à la Cour de cassation, 5 quai de l'Horloge, Paris 1 er,

La Direction des services judiciaires étant représentée par Madame Valérie Delnaud, sous-directrice des ressources humaines de la magistrature, assistée de Madame Hélène Volant, magistrate à cette direction ;

Monsieur X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, étant assisté de Maître A, avocat au barreau de xxxxx ;
Vu l'article 65 de la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée ;
Vu l’arrêté du 15 juin 2012 du garde des sceaux, interdisant temporairement à Monsieur X d’exercer ses fonctions de substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx ;
Vu la dépêche du garde des sceaux, en date du 27 août 2012 et ses pièces annexées, saisissant pour avis sur les poursuites disciplinaires diligentées à l'encontre de Monsieur X, la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente pour la discipline des magistrats du parquet ;
Vu les dossiers disciplinaire et administratif de Monsieur X, mis préalablement à sa disposition ;
Vu la convocation adressée le 23 octobre 2013 à Monsieur X et sa notification à l'intéressé le 25 octobre 2013 ;
Vu la convocation adressée le 23 octobre 2013 à Maître A ;
Vu l'ensemble des pièces produites et jointes au dossier au cours de la procédure.

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L'affaire a été mise en délibéré au 28 janvier 2014 à l'issue des débats qui se sont déroulés publiquement dans les locaux de la Cour de cassation le 17 décembre 2013, au cours desquels, après rappel des termes de la saisine du Conseil par le Président de la formation,
Monsieur Christophe Vivet a présenté son rapport préalablement communiqué aux parties, qui ont acquiescé à ce qu'il ne soit pas intégralement lu ;
Monsieur X a été interrogé sur les faits dont le Conseil a été saisi et a fourni ses explications ;
Madame Delnaud a présenté ses demandes tendant au prononcé d'un avis de révocation ;
Maître A a été entendu en la défense de Monsieur X lequel a eu la parole en dernier, le principe de la contradiction et l'exercice des droits de la défense ayant été assurés.

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Aux termes de la saisine du garde des sceaux, il est reproché à Monsieur X, substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, d’une part, des faits qualifiés d’usage abusif des fonctions (1), d’autre part, des faits qualifiés de comportements ressortissant à la vie privée mais ayant des incidences sur l’image de l’institution judiciaire (2), et, enfin des faits qualifiés d’insuffisances professionnelles (3).

1.- Les faits qualifiés d'usage abusif des fonctions
Il est reproché à Monsieur X d’avoir adressé à Maître B, avocat au barreau de xxxxx, un courrier daté du 20 septembre 2011, à l’en-tête du parquet de xxxxx, sous le cachet du procureur de la République, par laquelle il certifie, en sa qualité de substitut du procureur, qu’un jugement prononcé le 24 juin 2003 par le tribunal de commerce de xxxxx a l’autorité de la chose jugée et constitue un titre exécutoire.
Ce courrier a été produit devant la Cour suprême d’Abu Dhabi (Emirats Arabes Unis) par le conseil de la société C, dans un litige commercial opposant celle-ci à Maître D, syndic de la société E et à des justiciables émiratis, relativement à la revendication d’un actif ayant une valeur considérable.
La production de ce courrier a amené le conseil de la partie adverse à le porter à la connaissance de la hiérarchie de Monsieur X, au motif qu’il paraissait n’avoir d’autre objet que de favoriser l’une des parties, ce qui contraignait le magistrat assurant l’intérim du procureur de la République, à adresser le 10 octobre 2011 une correspondance à l’avocat l’ayant saisi de la difficulté pour indiquer que ce courrier avait été « établi à tort par un magistrat qui n’est en rien saisi du dossier, qui n’avait aucune délégation ni compétence pour l’écrire et le signer et qu’il (devait) être considéré comme nul, de nul effet dans les litiges en cours » et qu’il ne l’engageait pas.
Monsieur X a reconnu avoir rédigé ce courrier et l’avoir remis à Maître B, expliquant avoir rencontré cet avocat à l’occasion d’une procédure en 2008 et avoir ensuite sympathisé avec lui, le rencontrant fréquemment en 2009, et moins souvent en 2010 et 2011.
Il a contesté avoir commis une faute professionnelle, au motif que le contenu de ce courrier était exact. Lors de son audition par le rapporteur, il a précisé avoir établi ce courrier à la demande de Maître B, afin de permettre à ce dernier de justifier, dans un litige au Moyen-Orient, du caractère définitif d’un jugement du tribunal de commerce de xxxxx. Il a indiqué avoir expliqué à Maître B que la meilleure façon de procéder aurait été qu’il lance une procédure d’exequatur et prenne contact avec la Chancellerie, mais qu’il avait cédé face l’insistance de Maître B. Il a précisé s’être borné à recopier une attestation établie par un avocat aux Conseils, en vérifiant que les décisions produites par Maître B correspondaient aux éléments visés par l’attestation et que le caractère définitif était acquis par le rejet du dernier pourvoi.
Le Conseil estime qu’il ne relevait pas des attributions de Monsieur X de délivrer une telle attestation, a fortiori en vue de sa production devant une juridiction étrangère.

En rédigeant un tel courrier remis à un avocat, avec l’en-tête du parquet de xxxxx et le cachet du procureur de la République, Monsieur X a agi en dehors de ses fonctions et a manqué au devoir de prudence.
Ce faisant, et en abusant de la sorte de ses fonctions en interférant de manière indirecte dans un litige soumis à une juridiction étrangère, il a manqué au devoir d’impartialité.
En délivrant un tel document qui engageait le procureur de la République près le tribunal de grande instance de xxxxx, Monsieur X a manqué au devoir de loyauté à l’endroit du procureur de la République, son supérieur hiérarchique.
Enfin, en contraignant le procureur de la République adjoint, assurant l’intérim du procureur de la République, à indiquer à l’avocat l’ayant saisi que ce courrier avait été rédigé à tort, Monsieur X a gravement porté atteinte à l’image de la Justice et au crédit de l’institution judiciaire.
En conséquence, le Conseil estime le présent grief établi.
2.- Les faits qualifiés de comportements ressortissant à la vie privée mais ayant des incidences sur l’image de l’institution judiciaire
2.1.- Les propos tenus lors d’une conversation privée avec Madame F en juillet 2006 relatifs à l'ingérence supposée de l'intéressé dans une procédure pénale
Selon l’acte de saisine, il est reproché à Monsieur X, lors d’une conversation privée ayant fait l’objet d’un enregistrement, le 25 juillet 2006, avec Madame F, sa compagne, d’avoir indiqué que ses relations avec le magistrat chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention avaient permis que le fils de Madame F, Monsieur G, qui avait été déféré devant ce magistrat le 17 février 2006, après avoir été mis en examen des chefs de trafic de stupéfiants, d’abus de faiblesse et d’administration de substances nuisibles (et ultérieurement des chefs de viols et d’actes de torture et de barbarie), ait été placé sous contrôle judiciaire et non pas placé en détention provisoire.
Tant devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires que devant le rapporteur désigné, Monsieur X a admis avoir tenu ces propos, tout en expliquant qu’ils ne correspondaient à aucune réalité, les justifiant au regard de la situation de détresse de sa compagne, confrontée aux problèmes judiciaires de son fils, pour montrer à sa compagne qu’il était intervenu en sa faveur. Il a précisé avoir tenu ces propos inexacts, dans un cadre totalement privé, en ignorant qu’ils étaient enregistrés.
Le Conseil estime qu’aucun élément ne permet d’établir l’ingérence de Monsieur X dans le cadre d’une procédure judiciaire. En outre, pour regrettables qu’aient été les propos tenus dans un contexte privé, au regard du devoir de délicatesse à l’endroit du juge des libertés de la détention dont l’image a pu être atteinte par ces propos, ils ne caractérisent pas, pour autant, dans le contexte où ils ont été tenus, une faute disciplinaire.

2.2.- Les violences commises à l'encontre de Madame F en 2004
Il est encore reproché à Monsieur X d’avoir commis des violences volontaires à l’encontre de sa compagne, ayant entraîné une procédure pénale au cours de laquelle il a reconnu les faits.
Il résulte des pièces de la procédure que le 22 janvier 2004, Madame F a déposé plainte à l’encontre de Monsieur X du chef de violences volontaires, affirmant qu’il l’avait frappée le soir précédent, suite à une dispute. Elle présentait une incapacité totale de travail de un jour.
Madame F précisait que son compagnon l’avait précédemment frappée à deux reprises, en 2002 en Turquie et en 2003 à xxxxx. Il apparaissait que Monsieur X avait déposé lui-même plainte le même jour, reprochant à Madame F de l’avoir agressé, et affirmait s’être borné à se défendre, présentant lui-même une incapacité totale de travail de deux jours. Il devait contester avoir commis des violences en 2002 et 2003. A l’issue d’une confrontation, les parties retiraient leurs plaintes, et l’affaire était classée sans suite par le parquet.
Si Monsieur X a reconnu devant le rapporteur que les rapports avec Madame F, dont il était désormais séparé depuis 2006, étaient difficiles, il a contesté avoir commis les faits qui lui étaient reprochés.
En cet état et en l’absence de tout autre élément objectif, le Conseil estime que ces faits n’apparaissent pas suffisamment caractérisés.
2.3.- Les déclarations mensongères à l'administration fiscale de 2008 à 2010
Aux termes de l’acte de saisine, il est reproché à Monsieur X d’avoir procédé à des déclarations mensongères à l’administration fiscale.
Il résulte des pièces de la procédure que dans le cadre de l’enquête préliminaire diligentée à la suite de la délivrance du courrier adressé à Maître B pour attester du caractère définitif et exécutoire d’une décision de Justice, l’examen des déclarations de revenus faites par Monsieur X au titre des années 2008 à 2010 avait mis en évidence des déclarations au titre des frais réels, de frais de déplacement professionnel correspondant à 15 000 kilomètres par an, alors qu’il résidait et travaillait à xxxxx, de la moitié de ses factures de téléphone et de l’achat d’un ordinateur portable. Monsieur X avait également, en 2009 et 2010, déclaré faussement le versement d’une pension alimentaire à sa mère à hauteur de 8500 euros en moyenne par an.
Monsieur X a admis devant le rapporteur avoir pu déclarer un nombre excessif de kilomètres au titre des frais réels, alors que la base de calcul ne pouvait dépasser dix kilomètres par jour. Il a justifié le caractère excessif de ces déclarations par le fait qu’il aurait suivi les conseils de l’administration fiscale, en procédant à un simple relevé de son compteur kilométrique, ce qu’il a admis être une « mauvaise approche ». S’il a maintenu avoir été, selon lui, bien fondé à déduire le coût de l’ordinateur portable, car il en avait besoin pour son travail, il a affirmé avoir déduit la moitié de ses factures téléphoniques sur les conseils de l’administration fiscale. Il a reconnu devant le rapporteur que pouvait poser problème la déduction de sommes au titre d’une pension alimentaire versée à sa mère, pension en fait inexistante.
En l’état de ses constatations, le Conseil estime les faits établis, s’agissant de déclarations mensongères à l’administration fiscale de 2008 à 2010, lesquelles ont été en partie reconnues par Monsieur X.
Ces faits constituent de la part de Monsieur X, magistrat de son état, un comportement particulièrement inadmissible caractérisant un grave manquement à la probité. Ils portent atteinte, notamment auprès de l’administration fiscale, à l’image de la justice et au crédit de l’institution judiciaire.
3.- Les faits qualifiés d’insuffisances professionnelles
Aux termes de l’acte de saisine, l’activité professionnelle de Monsieur X serait caractérisée par un absentéisme chronique et des manœuvres pour le dissimuler, des techniques inadaptées et contestables de classement sans suite, une mauvaise qualité des réquisitoires définitifs et l'absence de préparation des audiences correctionnelles.
3.1.- Un absentéisme chronique et des manœuvres pour le dissimuler
Il résulte des investigations effectuées par les services de l’inspection générale des services judiciaire que l’activité professionnelle de Monsieur X se serait manifestée par un absentéisme chronique. C’est ainsi que Monsieur H, chef de la 2ème section du parquet de 1991 à 2004, a souligné que Monsieur X n’était pas très présent dans le service. Il a ajouté qu’il lui faisait des remontrances mais que Monsieur X « avait toujours une bonne excuse ». Monsieur I, chef de la section S2 de 2003 à 2006, a indiqué que Monsieur X « avait des horaires (…) particulièrement souples ». Cet absentéisme a été décrit de manière concordante par Madame J, chef de la section S2 de septembre 2010 à septembre 2011, par Monsieur K, substitut et adjoint au chef de la section S2 du mois de février 2007 jusqu’au mois de juillet 2010 ou par Madame L, greffier en chef de la section S2.
Monsieur X, malgré ses déclarations concordantes, a contesté la réalité de cet absentéisme, expliquant notamment que ses éventuelles absences étaient justifiées en particulier par le fait qu’il réglait des dossiers d’information à son domicile, parfois après des rendez-vous médicaux personnels.
Il a de même contesté le fait, décrit notamment par Monsieur H, Monsieur K et Madame L, de dissimuler ses absences prolongées au sein du parquet et de faire croire à ses collègues et au personnel du greffe à des absences momentanées, en laissant le bureau ouvert, ordinateur et lumière allumés tandis qu’une veste était posée en évidence sur son fauteuil.
La teneur et la concordance des déclarations recueillies par les services de l’Inspection générale des services judiciaires conduisent le Conseil, malgré les explications de Monsieur X, à considérer les faits comme établis.
3-2.- Une technique inadaptée de traitement du courrier par classements sans suite
Aux termes de l’acte de saisine, il est reproché à Monsieur X sa technique de traitement du courrier, en procédant à des classements sans suite de manière massive, au moyen de formulaires pré-remplis de sa signature et d’une date ne correspondant pas à celle du traitement réel du courrier. Il lui est aussi reproché de s’être ainsi exposé au risque de commettre des erreurs graves et récurrentes dans le traitement de ces procédures.
Entendue par les services de l’Inspection générale des services judiciaires, Madame M, chef de la 5ème division du parquet de xxxxx de 2003 à 2006, a indiqué que l’examen des procédures traitées par Monsieur X, à l’occasion des contestations de classement sans suite, permettait d’établir qu’il traitait le courrier « n’importe comment ».
La mauvaise qualité du traitement des procédures est en outre établie par les différents rapports établis par Madame N, chef de la 5ème division, du 8 septembre 2008, du 2 juin 2009, du 18 septembre 2009 et du 3 juin 2010.
Monsieur X a expliqué au service de l’Inspection générale des services judiciaires avoir été contraint de sacrifier la qualité du traitement du courrier à la quantité, pour ne pas dépasser un stock de retard de quatre mois de courrier. Il a soutenu devant le rapporteur qu’il était impossible de faire face à la masse de courrier dans sa section, alors que selon lui, il se voyait attribuer une part plus importante que ses collègues. Ces dernières déclarations n’étaient pas corroborées par les constatations des services de l’inspection générale des services judiciaires attestant d’une charge de travail qui n’apparaissait pas anormale.
Il a précisé au rapporteur qu’il avait été admis, selon lui, par la hiérarchie et à une certaine époque, que les procédures soient classées par piles, sans apposer une décision spécifique par procédure.
En tout état de cause, Monsieur X a reconnu avoir mis en place une technique consistant à rédiger un formulaire de classement sans suite revêtu d’une date et de son nom, sans motif de classement, de le photocopier en plusieurs exemplaires, et d’apposer ensuite ces copies sur les procédures, en ajoutant uniquement le motif succinct de classement, tout en contestant avoir apposé systématiquement le même motif. Il a admis avoir commis quelques erreurs dans le stock ainsi traité.
Les investigations conduites par les services de l’Inspection générale des services judiciaires permettent de caractériser des carences graves de la part de Monsieur X dans le traitement du courrier pénal, de nature à provoquer des erreurs.
3-3.- La mauvaise qualité des réquisitoires définitifs
Il est reproché à Monsieur X d’avoir restitué de manière systématique sous la dénomination de « réquisitoires définitifs » des documents d’une parfaite indigence, constitués de la juxtaposition de faits tels que rédigés par les rapports de synthèse des enquêteurs et des qualifications développées issues de la base « natinf », sans motivation ni analyse.
Les constatations de l’Inspection générale des services judiciaires ont montré que sur 56 réquisitoires rédigés par Monsieur X au cours des six premiers mois des années 2010 et 2011, 16 réquisitoires n’avaient pas satisfait à l’obligation de motivation. L’Inspection générale des services judiciaires a relevé l’absence de motivation de renvoi devant le tribunal correctionnel de personnes mises en examen qui contestaient les incriminations reprochées, l’absence de motivation sur les circonstances aggravantes retenues, l’absence d’analyse sur certaines qualifications pénales retenues et l’absence de motivation alors qu’il s’agissait de réquisitions de non-lieu.

Ces constats sont confirmés par diverses déclarations recueillies. Monsieur I, son premier chef de la section S2 déclarant que « ses règlements étaient de mauvaise qualité et ne comportaient pas de démonstration », Madame M qualifiant de «particulièrement médiocre » la qualité des réquisitoires élaborés par Monsieur X qui était, selon elle, « le spécialiste du « copier-coller ».
Monsieur X n’a pas contesté les constats de l’Inspection générale des services judiciaires. Il a déclaré que « s’agissant du corps du réquisitoire, (il) utilis(ait) la technique du copier-coller pour les faits quand il existe un procès-verbal de synthèse. Quand (il) ne trouve pas de procès-verbal exploitable, il (lui) arrive de faire la synthèse (lui)-même. (Il) utilise la même technique de copier-coller pour les plaintes avec constitution de partie civile conclues par un non-lieu ».
Monsieur X a admis devant le rapporteur que ces réquisitoires étaient « perfectibles », justifiant sa façon de faire par un problème de temps et par le caractère, selon lui, « sinistré » de la section dans laquelle il était affecté.
Il résulte de ce qui précède que le grief est établi.
3-4.- L'absence de préparation des audiences correctionnelles et l’attitude désinvolte à l'audience
Il est reproché à Monsieur X de ne pas préparer, ou insuffisamment, les dossiers des audiences correctionnelles pour lesquelles il tenait la place du Ministère public,
Monsieur O, président de l’une des sections de la 12ème chambre a ainsi déclaré que « quand (il) sait que M. X assure le siège du ministère public, (il) (s)e prépare mentalement et (il) (m)’attend au pire (…) (M. X) ne connaissait jamais ou presque ses dossiers (…) ». Madame P, assesseur au sein de la 12ème chambre puis présidente de l’une des sections de cette chambre a indiqué que « depuis 2007, (elle a) souvent déploré qu’il ne regarde pas les dossiers avant de venir l’audience ». Madame Q, présidente de l’une des sections de la 13ème chambre a précisé pour sa part qu’elle « (a) souvent eu l’impression qu’il découvrait des éléments lors des débats ».
Monsieur X a reconnu devant les services de l’inspection générale des services judiciaires ne pas préparer les audiences à juge unique et, pour certaines audiences collégiales, se contenter de n’identifier que les dossiers dans lesquels il avait rédigé les réquisitoires définitifs. Il a précisé que depuis septembre 2011, ayant moins d’audiences, il étudiait désormais tous ses dossiers. Il a justifié devant le rapporteur que ses audiences étaient suffisamment préparées, dans la limite du temps dont il disposait, correspondant à son sens à la moitié du temps nécessaire. Il a expliqué qu’à compter de 2007 il avait un nombre d’audiences plus élevé que ses collègues, soit trois par semaine.
L’audition, par les services de l’Inspection générale des services judiciaires, des présidents de chambres correctionnelles traitant le contentieux de la section 2, permet donc d’établir, malgré les justifications de Monsieur X, une absence de préparation ou une préparation pour le moins insuffisante de ses audiences correctionnelles.

Il est encore reproché à Monsieur X d’avoir adopté un comportement désinvolte caractérisé par son désintérêt ostensible quant au déroulement des audiences.
Monsieur O a ainsi déclaré devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires que « ce qui (…) est totalement insupportable, c’est l’attitude à l’audience de M. X, marquée par une immense désinvolture. Il vient avec son ordinateur portable qu’il manipule continuellement et il ne s’intéresse manifestement pas à l’audience ». Madame Q, pour sa part précisait que « il lui est arrivé de poser des questions auxquelles il avait déjà été répondu. Par ailleurs, (elle a) constaté que certaines de ses interventions traduisaient une incompréhension des éléments du dossier ». Madame P indiquait enfin que « lors de l’audience, il semble pris par d’autres préoccupations, il dispose de son ordinateur et envoie des sms avec son téléphone. (Elle) croi(t) qu’il joue sur son ordinateur ».
Devant le rapporteur, Monsieur X a contesté ces critiques, expliquant l’utilisation de son ordinateur à l’audience par le fait qu’il s’en servait pour travailler pendant les suspensions et les délibérés, et très rarement pour prendre des notes. Il a affirmé n’avoir jamais utilisé son téléphone à l’audience.
Malgré les contestations de Monsieur X, les déclarations des présidents de chambre correctionnelle permettent d’établir qu’il a manifesté un comportement désinvolte à l’audience, ce qui l’a conduit à prendre des réquisitions sans cohérence avec la réalité du dossier évoqué.
C’est ainsi que Monsieur O a déclaré devant les services de l’inspection générale des services judiciaires : « très souvent, ses réquisitions arrivent comme un cheveu sur la soupe et décalées par rapport aux débats qui ont eu lieu (…). Ses réquisitions sont sans rapport avec les débats. (…) Dans une affaire, il avait pris des réquisitions pour l’application d’une peine alors qu’il s’agissait d’une demande de mise en liberté. Au cours de certaines audiences, il lui arrivait de requérir mille euros d’amende du début à la fin de l’audience ».
L’ensemble de ces éléments permettent d’établir que Monsieur X a manqué à la dignité et aux devoirs de son état, porté atteinte à l’image de la Justice et au crédit de l’institution judiciaire. Ils établissent aussi qu’il a manqué au devoir de délicatesse, à l’endroit des justiciables, des magistrats et fonctionnaires de la juridiction devant lesquels Monsieur X a été amené à requérir.
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Il est en outre reproché à Monsieur X d’avoir pris des réquisitions de mise en liberté en 1995 concernant un individu à l’encontre duquel des réquisitions inverses avaient été prises quinze jours auparavant par le chef de section, d’avoir fait preuve d’une indulgence qualifiée de « surprenante » dans des affaires de 1989 et 1990 à l’égard de clients de deux avocats du barreau de xxxxx, amis de son épouse, elle-même avocate et d’avoir manifesté son intérêt qualifié de « déplacé » pour une affaire de tentative d’assassinat en 1992, dont avait été victime l’une de ses relations.

*Sur les réquisitions de mise en liberté du 27 septembre 1995
Une enquête administrative menée en 1995 et ayant donné lieu à un rapport de l’Inspection générale des services judiciaires, en date de mars 1996, relève que Monsieur X avait pris des réquisitions de mise en liberté concernant R, individu lié au milieu xxxxx du grand banditisme. Ces réquisitions intervenaient après neuf mois de détention provisoire pour des faits d’escroquerie en bande organisée et après plusieurs réquisitions et décisions de maintien en détention.
Devant le rapporteur, Monsieur X a indiqué s’être contenté de ne pas s’opposer à une demande de mise en liberté pour un prévenu approchant de la fin du délai de la détention provisoire.
Le Conseil estime, en cet état, le grief, insuffisamment caractérisé.
*Sur l’indulgence à l’égard de clients de deux avocats en 1989 et 1990
Il est reproché à Monsieur X de s’être contenté de délivrer des convocations à des prévenus, qui auraient relevé d’une ouverture d’information. Il avait été noté que les prévenus convoqués par procès-verbal s’étaient présentés à l’audience assistés de son épouse ou d’une de ses amies avocates, l’hypothèse étant émise que Monsieur X aurait conseillé à ces prévenus de choisir l’une d’elles pour avocat, ce qu’il avait contesté.
Monsieur X a déclaré devant le rapporteur ne pas se souvenir très bien de cette affaire, mais conteste avoir commis une quelconque faute.
Le Conseil estime, en l’état, le présent grief insuffisamment caractérisé.
*Sur l’intérêt qualifié de « déplacé » pour une affaire de tentative d’assassinat en 1992, dont avait été victime une de ses relations
L’Inspection générale des services judiciaire a conclu en mars 1996 que l’intérêt porté par Monsieur X pour la tentative d’assassinat dont avait été victime l’une de ses relations, après avoir été relaxé du chef de recel d’abus de confiance, avait été exprimé maladroitement, mais sans constituer pour autant une faute.
Le Conseil n’estime pas ce grief caractérisé.
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Il est enfin reproché à Monsieur X d’avoir délivré de manière suspecte une réquisition téléphonique le 21 novembre 2013, d’avoir eu un incident avec sa compagne le 23 juin 2005 ayant donné lieu à main-courante, d’avoir tenu des propos lors d’une conversation privée avec sa compagne, en juillet 2006, selon lesquels il aurait tiré des revenus d’une activité occulte de conseil, ayant donné lieu à ouverture d’une information judiciaire pour exercice illégal de la profession d’avocat et d’avoir détenu 12 comptes bancaires dans des conditions suspectant un blanchiment de fraude fiscale et une organisation frauduleuse d’insolvabilité.

*Sur la délivrance suspecte d’une réquisition téléphonique le 21 novembre 2013
Le 21 novembre 2003, Monsieur X a délivré une réquisition à France Telecom aux fins d’identifier le titulaire d’une ligne téléphonique, alors que cette réquisition était analysée comme ne correspondant à aucune procédure enregistrée, et ne portant pas le nom de la personne visée par l’enquête.
Il apparaissait que ce numéro de téléphone était attribué à un négociateur immobilier, alors qu’à cette époque, la compagne de Monsieur X avait été habilitée en qualité de négociateur immobilier en 2002. Monsieur X avait pour sa part expliqué que ce numéro était celui d’une personne de nationalité étrangère lui ayant présenté une requête en relèvement d’interdiction du territoire français découlant d’une condamnation de 1992.
Pour troublants que ces faits puissent apparaître, le Conseil ne les estime pas de nature à établir que Monsieur X ait fait usage de ses fonctions à des fins étrangères à ses activités professionnelles. Monsieur X a maintenu en outre devant le rapporteur que cet acte d’enquête était en lien avec ses fonctions.
*Sur l’incident avec Madame F le 23 juin 2005, ayant donné lieu à main-courante
Aux termes de l’acte de saisine, Monsieur X aurait violemment frappé à la vitre du véhicule de sa compagne Madame F, alors qu’elle raccompagnait un ami à son domicile, ces faits ayant donné lieu à une main-courante auprès des services de police.
Monsieur X a déclaré au rapporteur s’être contenté de frapper à la vitre pour signaler sa présence.
Le Conseil estime, en cet état, ce grief insuffisamment caractérisé.
*Sur les propos tenus lors de la conversation privée avec Madame F, en juillet 2006, relatifs à l'exercice d'une activité professionnelle occulte et à la dissimulation des revenus
Selon l’acte de saisine, Monsieur X aurait, lors d’une conversation privée le 25 juillet 2006 avec Madame F, tenu des propos selon lesquels il serait titulaire de comptes bancaires en Suisse et exercerait une activité professionnelle autre que celle de magistrat, à savoir une activité de conseil juridique auprès de Monsieur S, dirigeant du club de football professionnel « T », lui procurant des revenus occultes. Monsieur X obtenait un non-lieu le 22 octobre 2008 au terme de l’information judiciaire ouverte du chef d’exercice illégal de la profession d’avocat.
Tant devant les services de l’Inspection générale des services judiciaires que devant le rapporteur, Monsieur X a contesté avoir exercé une activité professionnelle occulte, expliquant avoir tenu ces propos à Madame F uniquement pour se valoriser auprès de sa compagne.
En conséquence, le Conseil n’estime pas ce grief établi.

*Sur la suspicion de blanchiment de fraude fiscale et d’organisation frauduleuse d’insolvabilité
Aux termes de l’acte de saisine, il est reproché à Monsieur X la détention de douze comptes bancaires sous les trois identités de X, X1 et X2, outre cinq comptes au nom de son fils U sur lesquels il a procuration. Ces comptes auraient reçu entre 2010 et 2011 la somme de 25 570 euros, non justifiée, dont 6000 euros à la période de la remise du courrier à Maître B. Ces faits, qualifiés d'organisation frauduleuse d'insolvabilité et blanchiment de fraude fiscale, ont entraîné la mise en examen de Monsieur X le 5 octobre 2012.
Monsieur X a expliqué être en litige avec un établissement bancaire, au sujet d’un prêt immobilier, et avoir diversifié ses comptes pour parer au risque d’une nouvelle saisie-attribution le concernant. Il a justifié les mouvements d’argent liquide par des transferts destinés à protéger ses économies en espèces de la saisie-attribution.
Si l’existence de tous ces comptes ne manque pas de surprendre, les éléments du dossier ne permettent pas au Conseil de caractériser suffisamment une quelconque faute disciplinaire commise par Monsieur X.
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Les griefs retenus à l’encontre de Monsieur X, d’abus de fonction résultant de la remise d’une attestation à un avocat et d’établissement de déclarations mensongères à l'administration fiscale, caractérisant un manquement particulièrement grave au devoir de probité, révèlent chez Monsieur X, une perte complète des repères déontologiques fondamentaux de sa profession et constituent des manquements graves aux devoirs de son état de magistrat ; ces agissements ont durablement atteint le crédit et l’autorité de l’institution judiciaire.

Les autres manquements retenus établissent en outre, chez ce magistrat, des insuffisances professionnelles graves et chroniques caractérisant des manquements manifestes au devoir de diligence et un désengagement persistant dans l’exercice de ses fonctions.

L’ensemble des manquements ainsi retenus sont incompatibles avec les devoirs de l’état de magistrat et conduisent le Conseil à considérer qu’il convient d’écarter définitivement Monsieur X de l’exercice de toute fonction judiciaire.

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PAR CES MOTIFS,
Après en avoir délibéré à huis clos, et hors la présence de Monsieur Christophe Vivet,
Emet l’avis de prononcer contre Monsieur X la sanction prévue à l’article 45, 7° de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, de la révocation ;
Dit que le présent avis sera transmis au garde des sceaux et notifié à Monsieur X par les soins du secrétaire soussigné.