Conseil d’État, section du contentieux, requête n° 265665

Date
23/03/2005
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de légalité (devoir de respecter la loi), Manquement au devoir de probité (devoir de ne pas abuser de ses fonctions), Manquement au devoir de probité (devoir de loyauté à l’égard de l’institution judiciaire), Manquement au devoir de probité (devoir de préserver l’honneur de la justice)
Décision Conseil d'Etat
Rejet
Mots-clés
CEDH
Poursuites disciplinaires (composition de la formation de jugement)
Argent
Avantage
Révocation
Corruption
Impartialité
Légalité
Probité
Abus des fonctions
Honneur
Institution judiciaire (loyauté)
Rejet
Substitut du procureur de la République (premier)
Fonction
Premier substitut du procureur de la République
Résumé
Contestation de la légalité de l’avis du Conseil et de la décision du garde des sceaux. Acceptation par un magistrat du parquet de sommes d’argent, cadeaux et invitations pour lui-même et les membres de sa famille, remis par des parties à une affaire dont il était saisi
Décision(s) associée(s)

Le Conseil d’État statuant au contentieux (section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 17 mars 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentée par M. X, demeurant … ; M. X demande au Conseil d’État d’annuler la décision du 14 janvier 2004 du garde des sceaux, ministre de la justice, prononçant à son encontre la sanction disciplinaire de révocation sans suspension des droits à pension, ensemble l’avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature en date du 5 décembre 2003 et de mettre à la charge de l’État le versement de la somme de 4 500 euros au titre de l’article L. 761 1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Vu le décret n° 80-792 du 2 octobre 1980 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Maud Vialettes, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X, magistrat du parquet, demande l’annulation de l’arrêté du 14 janvier 2004 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé sa révocation sans suspension de ses droits à pension, de même que de l’avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature en date du 5 décembre 2003 ;

Sur les conclusions dirigées contre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature :

Considérant que cet avis ne constitue pas une décision faisant grief ; que dès lors ces conclusions sont irrecevables ;

Sur la légalité de l’arrêté ministériel attaqué :

En ce qui concerne les moyens de légalité externe :

Considérant que lorsque le Conseil supérieur de la magistrature, dans sa formation compétente à l’égard des magistrats du parquet, est appelé à connaître, en vertu de l’avant dernier alinéa de l’article 65 de la Constitution, de l’éventualité d’infliger une sanction disciplinaire, il ne dispose d’aucun pouvoir de décision et se borne à émettre un avis à l’autorité compétente sur le principe du prononcé d’une sanction disciplinaire et, s’il y a lieu, sur son quantum ; qu’ainsi il ne constitue ni une juridiction, ni un tribunal au sens de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’au demeurant, les stipulations de cet article, relatives aux contestations sur les droits et obligations de caractère civil et aux accusations en matière pénale, ne visent pas le régime disciplinaire applicable à des personnes qui, comme c’est le cas pour les magistrats de l’ordre judiciaire, participent de par leurs fonctions à l’exercice de la puissance publique et à la sauvegarde des intérêts généraux de l’État ; qu’il suit de là que les moyens tirés de l’irrégularité, au regard de l’article 6 de la Convention précitée, de l’avis émis par le Conseil supérieur de la magistrature sur le cas de M. X ne peuvent qu’être écartés comme inopérants ;

Considérant que le fait que des membres de la formation compétente du Conseil se soient déjà prononcés sur une demande de promotion de l’intéressé non plus que l’appartenance syndicale de certains d’entre eux ne sont de nature à entacher d’illégalité la procédure d’avis émis par ce Conseil ; que l’allégation selon laquelle la séance tenue par celui-ci l’aurait été publiquement en présence de la presse, qui n’est assortie d’aucune précision, n’est pas corroborée par les pièces du dossier ; qu’il ressort des pièces du dossier que l’intéressé a été effectivement convoqué à la séance du Conseil et invité à présenter sa défense selon les formes requises ;

En ce qui concerne les moyens de légalité interne :

Considérant que si M. X a le 29 juillet 2003 sollicité son admission à la retraite à compter du 1er octobre 2003, le ministre a, en gardant le silence pendant plus de deux mois sur sa demande, pris à son égard une décision de rejet ; que celle-ci, faute d’avoir été attaquée par M. X dans le délai de recours contentieux, est devenue définitive ; que dans ces conditions, M. X n’est, en tout état de cause, pas fondé à se prévaloir de ce qu’à la date du 14 janvier 2004, il aurait dû se trouver admis à la retraite pour soutenir qu’il ne pouvait plus alors faire légalement l’objet de la décision attaquée ;

Considérant qu’aux termes de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire » ; qu’il n’est pas contesté que M. X a bénéficié de cadeaux multiples, d’invitations nombreuses et de la remise de sommes en argent de la part de personnes sur la situation desquelles il a été amené à requérir ou vis-à-vis desquelles il a été amené à prendre des mesures dans l’exercice de ses fonctions ; que des membres de sa famille ont eux-mêmes bénéficié de faveurs de la part de ces personnes ; que de tels faits étaient en eux-mêmes et indépendamment des poursuites pénales dont ils faisaient l’objet, de nature à motiver une sanction disciplinaire ; qu’eu égard à la gravité des manquements de l’intéressé à son état, en prononçant une sanction de révocation sans suspension des droits à pension, le ministre n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation ; qu’enfin la manière dont la presse a rendu compte de ces faits est sans influence sur la légalité de la décision attaquée ;

Sur l’application de l’article L. 761 1 du code de justice administrative :

Considérant, d’une part, que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’État, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. X au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Considérant, d’autre part, que dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de M. X la somme demandée au même titre par l’État ;

Décide :

Article 1er : La requête de M. X est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l’État présentées au titre de l’article L. 761 1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. X et au garde des sceaux, ministre de la justice.