Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du parquet

Date
07/10/1993
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d’indépendance, Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de probité (obligation de préserver la dignité de sa charge)
Avis
Non-lieu à sanction
Décision Garde des sceaux
Conforme
Mots-clés
Honorariat
Chef de juridiction
Intervention
Indépendance
Impartialité
Probité
Dignité
Non-lieu à sanction
Procureur de la République
Fonction
Procureur de la République
Résumé
Relation de trop grande familiarité avec un fonctionnaire. Interventions au profit de tiers dans des procédures les concernant

La commission de discipline du parquet concernant la poursuite disciplinaire exercée à l’encontre de M. X, procureur de la République près le tribunal de grande instance de V,

Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée par la loi organique n° 70-642 du 17 juillet 1970, notamment les articles 63, 64 et 65 de ce texte ;

Vu ensemble la dépêche en date du 31 décembre 1991 de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, à M. le procureur général près la Cour de cassation, président de la commission de discipline du parquet, saisissant cette commission pour avis sur la sanction disciplinaire que les faits retenus à l’encontre de M. X, procureur de la République près le tribunal de grande instance de V, lui paraissent devoir entraîner, et la dépêche du 27 février 1992 sollicitant l’avis de la commission sur le retrait de l’honorariat ;

Vu l’enquête diligentée par M. Gilbert Massé, conseiller à la Cour de cassation, rapporteur de la commission, l’entier dossier de la procédure ayant été préalablement communiqué à M. X et mis à la disposition de ses conseils ;

Vu le dossier administratif de M. X, également mis préalablement à sa disposition et à celle de ses conseils ;

Vu le mémoire en défense produit par Me Paul Lombard et Me Georges Hoarau ;

Les débats s’étant déroulés le 23 septembre 1993, à huis clos, en l’absence de M. X qui, régulièrement convoqué, n’a pas comparu, et en l’absence de ses conseils régulièrement convoqués qui s’en sont remis à leur mémoire écrit par une lettre lue à l’audience, en présence de M. Jean-François Weber, directeur des services judiciaires, le président et les membres de la commission ayant dispensé M. le conseiller Massé de la lecture du rapport qui leur avait été préalablement communiqué, et M. le directeur des services judiciaires ayant été entendu ;

L’affaire ayant ensuite été mise en délibéré ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction de la poursuite disciplinaire que M. X, procureur de la République à V, a entretenu des relations d’une inadmissible familiarité avec M. Y, concierge du tribunal, qui ont conduit ce magistrat à tolérer un empiètement de cet employé dans le fonctionnement des services du parquet ; qu’il est établi que celui-ci avait libre accès aux procédures classées au bureau d’ordre, et qu’il lui arrivait d’assister aux entretiens qu’avait le procureur avec des justiciables que M. Y lui recommandait ;

Qu’en outre M. X s’est affiché avec le concierge à l’extérieur du palais, que ce soit à l’occasion de réceptions officielles ou encore de rencontres privées avec des amis ou relations de ce dernier ayant des affaires pendantes devant la juridiction ;

Considérant plus spécialement que, malgré l’impécuniosité notoire de M. Y, qui avait fait l’objet de saisies, M. X, cédant à un « caprice » de ce dernier a accepté de l’accompagner par deux fois en octobre 1990 chez le concessionnaire Toyota à V pour qu’il fasse le choix puis l’acquisition de la « voiture de ses rêves » d’une valeur de 180 000 francs, grâce à un prêt à fonds perdus consenti par M. Z que M. Y avait persuadé de son influence sur le procureur et dont la famille Z, compte tenu de litiges en cours, avait lieu de penser qu’elle était réelle et efficace ;

Considérant, à cet égard, que l’enquête a démontré qu’avant l’octroi de ce prêt, M. X avait procédé en mars 1990 à un classement sans suite dans une affaire de vol de matériel pour un montant d’environ 80 000 francs imputable à un des fils du prêteur, Camille Z, alors cependant qu’il n’avait pas été rendu compte au procureur de cette affaire banale par le substitut compétent qui a déclaré par la suite n’avoir plus jamais vu cette procédure ; qu’il apparaît que l’accès au bureau d’ordre qu’avait M. Y lui avait permis d’identifier cette affaire qui devait alors être réglée dans un sens favorable à la famille Z ;

Considérant que vient s’inscrire dans la même optique le classement sans suite par M. X en novembre 1990, postérieurement au prêt, d’un procès-verbal d’outrage à agent de la force publique commis par le prêteur, M. Z ;

Considérant, enfin, qu’en juin 1991, alors que M. ... Z, fils de M. Z, s’était rendu coupable d’homicides involontaires sur la personne de deux enfants qui sortaient de leur école, ce qui avait ému fortement l’opinion publique et motivé sa présentation au parquet, M. X l’attendait, avec M. Y, à l’extérieur du palais étant observé que, sur instructions du procureur, M. Z ne portait pas de menottes ; que cette scène était filmée par la télévision et diffusée le soir même ; que M. Z, placé par le juge sous contrôle judiciaire sur réquisitions du parquet, ne devait être mis en détention provisoire par arrêt de la chambre d’accusation qu’à la suite d’un appel du procureur interjeté lui-même sur instructions formelles du procureur général ;

Considérant que les relations de M. X avec M. Y, l’ingérence tolérée de celui-ci dans les services du parquet, sa présence dans le cabinet du procureur lors d’entretiens avec des justiciables, le cautionnement moral donné par lui dans le choix et l’achat d’une voiture de luxe par le concierge et le règlement des affaires de la famille Z dans les circonstances ci-dessus rappelées, constituent de la part de ce magistrat un grave manquement tant aux devoirs de son état qu’à ceux de ses fonctions en ce que son comportement a pu laisser douter tant au palais qu’à l’extérieur, de son indépendance et de son impartialité ;

Considérant en revanche que n’est pas suffisamment démontrée la réalité des griefs relatifs à l’instruction des dossiers de M. Y dans le cadre de sa situation administrative ; qu’ainsi aucune faute disciplinaire ne peut, à cet égard être retenue ;

Mais considérant que M. X a été mis à la retraite à compter du 1er février 1992, par arrêté du 24 janvier 1992 ; qu’il est donc actuellement radié des cadres conformément à l’article 73 du statut de la magistrature et ne peut donc encourir les sanctions de l’article 45 applicables aux seuls magistrats en activité ;

Considérant en outre que l’honorariat résultant du décret de mise à la retraite de M. X en application de l’article 77 du statut de la magistrature, ne pourrait lui être retiré, suivant la procédure de l’article 79 de ce texte visé dans l’acte de saisine, que pour des faits commis postérieurement au 1er février 1993, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;

Par ces motifs,

Émet l’avis que si les faits reprochés à M. X constituent, pour partie d’entre eux, des fautes disciplinaires, ils ne peuvent donner lieu à sanction ni au retrait de l’honorariat, dès lors qu’ils ont été commis antérieurement à la mise à la retraite de ce magistrat.

Dit que le présent avis sera transmis à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et notifié à M. X, par les soins du secrétaire de la commission de discipline du parquet.