Conseil supérieur de la magistrature statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège

Date
25/01/1962
Qualification(s) disciplinaire(s)
Manquement au devoir d'impartialité, Manquement au devoir de probité (devoir de réserve)
Décision
Non-lieu à sanction
Mots-clés
Critique
Expropriation
Impartialité
Probité
Réserve
Non-lieu à sanction
Juge
Fonction
Juge au tribunal de grande instance
Résumé
Appréciations déplacées portées sur des administrations locales à propos d’une affaire portant sur une expropriation d’utilité publique

Le Conseil supérieur de la magistrature, réuni comme conseil de discipline des magistrats du siège, sous la présidence du premier président de la Cour de cassation, et statuant à huis clos ;

Vu les articles 43 à 58 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le statut de la magistrature ;

Vu les articles 13 et 14 de l’ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu les articles 9 à 13 du décret n° 59-305 du 12 février 1959 relatifs au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature ;

Vu la dépêche de M. le garde des sceaux n° 11.884 du 19 septembre 1961, dénonçant au Conseil les faits motivant la poursuite disciplinaire ouverte contre M. X, juge au tribunal de grande instance de V ;

Vu la commission rogatoire délivrée le 25 octobre 1961 à M. le premier président de la cour d’appel de W à l’effet d’entendre M. X ou de le faire entendre par un magistrat de rang au moins égal à celui de ce dernier, et pour accomplir tous actes d’investigation utiles sur les faits articulés par M. le ministre de la justice dans la dépêche précitée ;

Vu l’ordonnance de M. le premier président de la cour d’appel de W, en date du 2 novembre 1961, commettant M. N, conseiller à cette cour, pour exécuter cette commission rogatoire ;

Vu le procès-verbal, en date du 5 décembre 1961, de l’enquête diligentée par M. N, ensemble les pièces annexées ;

Vu le jugement rendu, le 1er mars 1961, par M. X, dans l’instance pendante entre le département de O, d’une part, les consorts Y, Z, A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, d’autre part ;

Sur le rapport de M. le conseiller Waline ;

Ouï M. X en ses explications et Me Tixier-Vignancour, avocat à la cour d’appel de Paris, son conseil ;

Attendu que le Conseil supérieur est saisi, par une dépêche de M. le garde des sceaux, en date du 19 septembre 1961, d’une poursuite disciplinaire concernant M. X, juge au tribunal de grande instance de V ;

Attendu qu’il est reproché à M. X de s’être laissé aller, au cours d’une procédure d’expropriation portant sur des terrains situés au U à formuler de vives critiques à l’égard des pouvoirs publics, et d’avoir manifesté ouvertement son opinion sur la solution qu’il se proposait d’apporter au litige, assurant les propriétaires présents de son soutien, et de son intention de les indemniser largement ;

Attendu qu’il est également reproché à M. X, dans cette dépêche, les termes « particulièrement déplacés vis-à-vis de l’administration et même vis-à-vis de la législation sur l’expropriation pour cause d’utilité publique » dans lesquels il se serait exprimé dans certains des attendus de son jugement du 1er mars 1961 dans la même cause ;

Attendu, sur le premier point, qu’il ne résulte pas du procès-verbal susvisé de l’enquête diligentée par les soins de M. le premier président de la cour d’appel V, que M. X ait critiqué les pouvoirs publics lors de sa visite des lieux, ni qu’il ait annoncé son intention d’indemniser « largement » les expropriés, mais que, toutefois, par les propos tenus au cours de cette visite, il a pu laisser entendre aux parties qu’il considérait, dès ce moment, comme inexistante la plus-value alléguée par l’administration expropriante, et n’en tiendrait aucun compte ; que les parties expropriées ont, entre cette visite des lieux et la clôture des débats, majoré considérablement leurs demandes d’indemnité, auxquelles M. X a fait droit intégralement par son jugement précité ;

Attendu que ces indemnités ont été ensuite considérablement réduites par la juridiction d’appel ;

Qu’il est possible de voir une relation de cause à effet entre les propos imprudents de M. X et la majoration des demandes des parties expropriées ;

Attendu qu’il n’appartient pas à un juge de faire connaître d’avance aux parties le sens dans lequel il se propose de juger ;

Attendu, sur le second point, qu’un magistrat du siège ne saurait encourir de sanction disciplinaire à raison de la rédaction de ses décisions juridictionnelles, tant du moins qu’il ne critique pas les lois ou ne se livre pas à des attaques contre le chef de l’État ou le gouvernement ;

Attendu qu’il ne résulte pas clairement des termes du jugement rendu le 1er mars 1961 que celui-ci ait exprimé aucune critique de la législation, mais qu’on y relève seulement des appréciations, d’ailleurs déplacées, sur certaines administrations locales, et notamment la partie expropriante ;

Attendu que, de ce qui précède, il résulte qu’il ne peut être retenu contre M. X, que le grief d’avoir agi avec légèreté, en laissant entendre qu’il ne tiendrait compte d’aucune plus-value ;

Attendu que ces propos ont fait l’objet d’observations faites à M. X, par M. le premier président de la cour d’appel, en vertu de l’article 44 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

Que, dans les circonstances de l’affaire, en l’absence de faute disciplinaire caractérisée, et compte tenu des observations fort justifiées relatées ci-dessus, il n’y a pas lieu de prononcer de sanction disciplinaire ;

Par ces motifs,

Renvoie M. X des fins de la poursuite disciplinaire exercée contre lui.